Avec plus de 30 millions de touristes par an, une résurrection du sak yant - le tatouage traditionnel sacré - l'évolution des moeurs et le développement du pays, le nombre de shops a explosé en Thaïlande. Mais cela faisait des années que Bangkok, la capitale du sud-est asiatique, n'avait pas eu sa convention. Bienvenue à la Thailand Tattoo Expo 2017, qui s'est tenue au marché de nuit de Suan Lum à Bangkok fin mars.
Texte : Laure Siegel Photos : Tom Vater
En équilibre sur une jambe, deux filles en mini-jupe posent en Y autour de deux hommes nus, dont les dos fraîchement piqués se révèlent sous les flashs des photographes. Une grande bannière Hell's Angels accueille les visiteurs à l'entrée de la convention, organisée par la Thailand Tattoo Association (TTA). Bienvenue en Thaïlande. Fondée en 2015, l'organisation compte désormais 600 membres et a pour ambition de regrouper les tatoués et tatoueurs du pays. "Ce groupe a été initialement créé pour organiser des ateliers sur les normes sanitaires et la technique" explique Oli, porte-parole de la TTA. "Il y a beaucoup de petites conventions en Thaïlande, à Samui, Phuket et Chiang Mai, alors nous voulions faire quelque chose à Bangkok. Nous visons surtout le marché local et régional, qui grandit énormément depuis cinq ans." En effet, hormis des tatoueurs, pratiquement aucun étranger, touriste ou expatrié, n'est en vue dans les allées. L'événement est définitivement le rendez-vous de la jeunesse rebelle de Bangkok pour le week-end. la caste Badi.
Nous retrouvons Ying, président de la TTA, à la buvette, tenue par les Hell's Angels de Bangkok. Propriétaire de Youngterk Tattoo Studio, il est lui-même un Hell's revendiqué, avec tatouages de circonstance, chaussure peintes à la main, lunettes de soleil noires sur le nez et veste floquée sur le dos. "En Thaïlande, les Hell's sont simplement une association de motards et non une entreprise criminelle" précise t-il. Le sujet est délicat car le club est au centre d'une polémique depuis quelques mois à cause d'une bataille pour son contrôle entre Thaïlandais et Australiens, qui a provoqué des affrontements sanglants dans la sulfureuse ville de Pattaya. De 2004 à 2015, Ying a organisé des concorurs d'une journée dans un centre commercial. En 2010, une convention à Bangkok a eu lieu mais n'a pas été reconduite par manque de sponsor. Aujourd'hui, Ying veut inscrire la Thailand Tattoo Expo dans le calendrier mondial annuel. "Nous voulons organiser un événement similaire tous les ans. L'an prochain, nous essaierons de trouver un endroit plus grand, pour pouvoir rajouter cinquante stands."
Une bonne moitié des 250 artistes présents sont Thaïlandais. Tous leurs stands arborent un portrait dans un cadre doré du roi Bhumibol Aduldayej, décédé en octobre 2016. Après une période de deuil d'un an, le royaume bouddhiste a célébré la montée sur le trône du prince héritier. L'une des façons de rendre hommage au souverain bien-aimé a été de se faire tatouer son portrait ou le numéro 9 en thaï, car son titre officiel était Rama IX.
Des artistes népalais, sri lankais, malaisiens, indonésiens, coréens et taïwanais ont aussi fait le déplacement. Et peut-être pour la première fois dans l'histoire du tatouage contemporain, des Birmans, dont le pays s'est réveillé après des décennies de terreur. Zarni (Rebel Tattoo House) vient de finir une pièce sur une cuisse : le slogan Food Not Bombs, un collectif international qui a émergé dans les années 1980 à Boston. Les groupes affiliés à ce réseau rassemblent des denrées alimentaires destinées à être jetées mais qui restent comestibles. Avec The Rebel Riot, son groupe de punk, Zarni distribue de la nourriture tous les mercredis soirs aux pauvres de Rangoun, la capitale économique birmane. "Nous adhérons aux valeurs du punk et tout ce que nous faisons, de la musique au tattoo, est une façon d'aider les autres et de propager des valeurs de solidarité, de tolérance et d'esprit critique".
Au stand d'en face, Andreas Majakil (Revolution Ink Tattoo shop, Kota Kinabalu) originaire de Bornéo, est en pleine discussion avec Oetjha Pangaribuan (Bucks Buks Tattoo Studio, Jakarta), un des fondateurs du groupe Indonesian Subculture : "J'ai énormément appris avec eux. Ces conventions nous permettent d'échanger et de créér petit à petit une communauté underground asiatique". Andreas en profite aussi pour acquérir les tutoriaux vidéos de Boristattoo (Vienne). L'artiste d'origine hongroise participe au Cheyenne Asia Tour avec une dizaine d'autres artistes sponsorisés, têtes d'affiches de l'évènement : Shigenori Iwasaki (Yellow Blaze), Randy Engelhard, Julian Siebert, Klaus Hu Fruhmann, Jessi Manchester, Matt Curzon Tattoo, KT Miyagi et Washun Lastgate.
Caro, qui tatoue en studio privé à Béziers, est une habituée de la Thaïlande et une amoureuse des îles du sud. "Chaque fois que je reviens de Koh Phangan, je déborde d'idées et de créativité". Elle est venue avec Jo Hell (Blood for Blood), Yo (Addiction Graphique) et David (David Mastok Tattoo). "Il y a des animaux et des enfants partout, c'est un joyeux bordel mais il y a bon niveau et un super accueil".
Sur scène, c'est Picky qui anime les contests. Tatoueuse à Bangkok depuis vingt ans (Law Birdy Tattoo), elle a créé le magazine Siam Tattoo en 2012 : "J'ai envoyé des photos de mes pièces à un magazine et ils ont refusé de les publier, probablement parce que j'étais une fille. J'étais énervée qu'ils ne me prennent pas au sérieux alors j'ai créé mon propre magazine !" Siam Tattoo, l'ancien nom de la Thaïlande, sort désormais tous les ans.
La Thailand Tattoo Expo a attiré 5000 à 6000 personnes sur deux jours. Ying est satisfait : "Avec le peu de promotion que nous avons eu, c'est pas mal ! C'est encore difficile d'intéresser les médias mainstream à ce genre d'évènements mais ça va changer dans une génération. Quand mes enfants seront adultes, je pense que le tattoo sera vu comme complètement normal, car leurs parents sont tatoués". < La deuxième édition de Bangkok Tattoo Expo aura lieu à BCC Hall, CentralPlaza du 23 au 25 mars 2018.