À seulement 36 ans, le tatoueur Victor Chil est un des meilleurs professionnels espagnols en activité. Au studio Family Art Tattoo, dans sa ville natale de Barcelone, il affine un impressionnant talent créatif. Porté par une technique irréprochable, il l’exprime dans différents styles. Réalisme, japonais, c’est toutefois dans le new-school qu’il en donne toute la mesure.
Peux-tu nous parler de l'univers graphique dans lequel tu as grandi, avec des dessins animés, des jeux vidéo ?
Depuis mon enfance, j'étais très intéressé par les jeux vidéo et les dessins animés des années 80/90 ainsi que par les figurines comme les G.I. Joes. J’avais aussi un intérêt particulier pour les Legos, j'aimais construire et créer avec eux.
As-tu toujours dessiné ?
J'ai commencé à explorer le dessin quand j'étais au lycée. Honnêtement, je n'aimais pas étudier, donc pour ne pas m'ennuyer je dessinais en cours avec mon pote Kike. Peu après, nous nous sommes intéressés au graffiti et c'est comme ça que j'ai commencé dans le monde du dessin.
À quoi ressemblait la culture du graffiti ?
Je vivais dans une très, très petite ville, où le graffiti en tant que tel n'existait pas, sans parler de la culture qui l’accompagne. Alors nous l'avons construite nous-mêmes. Nous n'avions pas de crew à proprement parler mais nous étions un groupe d'amis qui faisaient du graffiti ensemble et partageaient cette expérience.
Comment es-tu passé des murs aux corps ?
Dès que j'ai essayé, j'ai accroché le tatouage. Au début, j’ai utilisé des aiguilles à coudre et des choses plus rudimentaires puis, j'ai posé plus de questions à mon tatoueur (Rafa de Ronin tattoo). Il m'a guidé vers les matériaux dont j'avais besoin et tout s’est ensuite enchaîné. Je suis allé le voir dans son studio pour l’observer travailler, et ensuite j'ai tatoué mes amis dans mon village et à Barcelone.
Comment le graffiti inspire-t-il tes tatouages ?
Il m'inspire beaucoup dans l'éclairage et la création de formes plus personnelles et dynamiques. J’ai ainsi plus de liberté pour déformer les dessins et leur donner plus de fluidité, en ajoutant des couleurs, des volumes et des plans. Je peux ainsi créer des styles plus graphiques.
Inversement, qu’as-tu pris de la culture du tatouage pour la transposer au graffiti ?
J’ai ajouté beaucoup de motifs de tatouage dans mes pièces, comme les idées et les concepts japonais, ou le tatouage traditionnel. Je peux jouer avec les éléments, les formes, les compositions, etc... Cela m'a aidé à développer un style de graffiti très personnel.
Tes tatouages se distinguent par leurs couleurs très vives : vois-tu cela comme un héritage du graffiti ou comme un développement de ta propre approche du tatouage ?
Oui, l'influence du graffiti m'a incité à expérimenter ma propre palette de couleurs. Mais une fois que l'on s'est habitué à utiliser la couleur comme un outil, il est difficile de s'en défaire.
Comment as-tu créé ta palette ?
Au fur et à mesure que je peignais j'ai utilisé des ressources prises dans d'autres illustrations passées que j'avais conservées et qui m'ont servi de référence. Je m'appuie également beaucoup sur le cercle chromatique et les couleurs complémentaires. Mais, en fin de compte, je considère toujours le sentiment et ce que je veux exprimer avec l’illustration. Les couleurs que je choisis dépendent de ce choix.
J'ai l'impression que le tatouage t'a permis de travailler plus en détail.
Le tatouage donne plus de liberté que le graffiti mais il y a toujours certaines limites à ne pas franchir, car il faut tenir compte de la durabilité de l'œuvre. C'est lorsque je fais des dessins et des planches qui ne sont pas destinés à être tatoués que j'ai le plus de liberté. Je peux m’exprimer sans limites.
Quels sont les points auxquels tu fais particulièrement attention lorsque tu abordes une nouvelle pièce ?
La composition et l'adéquation en termes d’anatomie. Puis la narration de l'œuvre et ce que je veux transmettre avec le personnage, l'arrière-plan, les éléments, etc…
De nombreux graffeurs qui abordent le tatouage aiment le lettrage, est-ce quelque chose que tu as essayé ?
Oui, j'aime et j'apprécie le lettering, mais d'un autre côté je n'ai pas autant de temps que je le voudrais pour essayer différents styles.
Certains tatoueurs new-school sont un peu déçus par le manque de reconnaissance de l'engagement que le style nécessite. Tu partages leur avis ?
Oui, ce n'est pas un style qui est habituellement pleinement mis en pleine lumière, ou un style aussi commercial/populaire que d'autres, car c'est un créneau très particulier. Il est donc plus difficile d'obtenir cette reconnaissance ou cette appréciation.
Tu as récemment terminé un dos fantastique avec une représentation de la divinité bouddhiste Fudō Myōō. Tu me disais récemment avoir beaucoup de respect pour le style japonais, tu nous en parles ?
Ce que j'aime le plus, c'est l'histoire et la culture. Il y a notamment beaucoup de ressources et de mythologie. J'ai beaucoup voyagé au Japon et je collectionne des œuvres d’art. J'ai beaucoup de respect pour ce pays et sa contribution au tatouage au long de son histoire.
Tu as récemment sorti un t-shirt avec un design qui représente un type un peu toxicomane qui prend toutes sortes de drogues. C’est un autoportrait ?
Eh bien haha, si je disais que ce n'est pas le cas, je mentirais, mais je ne dis pas non plus que c'est moi, c'est une allégorie de ce que signifie être un enfant, être toujours heureux, aller de l'avant et s’amuser. Toujours profiter de tout ! + IG : @victor_chil www.familyarttattoo.com