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Wendy Pham

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Wendy Pham

A peine trente ans dont 10 passés dans le milieu, et quel talent ! Ne vous fiez pas à son visage poupin et son sourire charmant, Wendy Pham est une tueuse. Passionnée, humble, productive, et sachant manier avec une facilité déconcertante aussi bien le mignon que le terrible, la tatoueuse d’origine Australienne, en met plein yeux. Et de toutes les couleurs !

Comment es-tu venue au tatouage ?

J’avais 15 ans, j’habitais en Australie et un jour j’ai accompagné une amie se faire percer le nombril dans un studio à Melbourne. Une fois à l’intérieur, j’ai observé tous ces flashs accrochés sur les murs et je les ai trouvés super cool. J’étais déjà bien branchée par le dessin. J’ai demandé comment faire pour apprendre, et la tatoueuse m’a donnée quelques conseils, me proposant de jeter un œil à mes dessins. J’ai travaillé très dur plusieurs semaines, pendant le temps libre dont je disposais après l’école, afin de constituer un dossier sérieux. Elle a finalement ouvert son propre studio et m’a prise comme son apprentie. La première fois quand j’ai vu des tatouages c’était dans des clips du groupe Linkin Park. J’ai tout de suite su que j’en voulais aussi. Mais là, dans ce studio, j’ai compris que je voulais non seulement en avoir, je voulais aussi en faire. J’ai eu de la chance d’en prendre conscience très tôt.

Comment se sont passés tes débuts ?

J’avais 16 ans quand j’ai commencé mon apprentissage. Je m’occupais principalement de nettoyer le studio, tenir le comptoir et discuter avec les clients, mais aussi de faire des dessins pour mon boss. J’ai fait ça pendant 1 an et demi. Je venais travailler au shop les week-ends et en parallèle j’allais toujours à l’école. Puis j’ai commencé à faire des petits tatouages sur les ami(e)s de ma boss histoire de me faire la main. J’ai aussi tatoué des peaux de cochon récupérées chez le boucher, des fruits.

Tu disais que le dessin est venu très tôt dans ta vie ?

J’aime ça depuis que je suis toute petite. Mon père m’a beaucoup inspiré, il était très doué en dessin. Il était capable de reproduire des photos d’animaux, de peindre des toiles pour ma mère qu’elle accrochait ensuite aux murs de la maison. Il n’a cependant jamais travaillé comme artiste de façon professionnelle, il voyait bien que cela ne rapporterait pas beaucoup d’argent. Il était employé dans une usine de vêtements. Moi, j’adorais les dessins animés, comme tous les gosses, et je recopiais des images de mes séries préférées, Sailor Moon ou des Walt Disney. Je suppose que l’on apprend en copiant avant de développer son propre style. J’ai vraiment commencé à étudier sérieusement le dessin à 17 ans.

Aujourd’hui tu travailles beaucoup l’imagerie orientale, d’où cela vient-il ?

La tatoueuse avec laquelle j’ai fait mon apprentissage faisait essentiellement des tatouages inspirés du style japonais. La clientèle du studio venait ainsi pour ça et, en conséquence, j’ai du commencer à travailler ce style. Je n’ai pas vraiment choisi. J’en ai exploré d’autres, mais c’est celui dans lequel je m’éclatais le plus. J’étais très mauvaise au début, je ne connaissais rien à la tradition. Il y a encore beaucoup de choses dont je suis ignorante, mais j’apprends de mes erreurs. Ma « prof » n’était pas très traditionnelle non plus donc, naturellement je me suis tournée vers du japonais custom. A mes yeux ce n’était pas important de suivre des règles puisque je n’avais pas étudié auprès d’un artiste japonais traditionnel et que je ne suis pas Japonaise. J’avais ainsi la liberté d’interpréter les sujets comme je le souhaitais.

Il y a des tatoueurs que tu regardais en particulier ?

Quand j’étais encore apprentie, je suis allé à la convention de tatouage de Tahiti dans les années 2000. Notre stand était juste à côté de celui Shige. Je ne savais pas qui il était, je n’avais aucune idée de sa réputation dans le milieu. Je lui ai demandé s’il aurait le temps de me tatouer et il l’a fait. Son portfolio m’avait complètement ahurie. Son style n’est pas traditionnel, mais illustre des histoires japonaises et leurs personnages. Je voulais être comme lui.

De quelle façon le tatouage japonais t’inspire-t-il ?

Il y a tellement d’histoires derrière. Chaque chose a une signification. J’essaie de faire pareil avec mon travail, de donner une histoire derrière chaque pièce. Je veux que chaque personnage ait un objectif, un passé. Mais je ne m’empêche pas non plus d’en faire certaines strictement pour le plaisir, sans aucun sens, comme les dessins animés que je regardais quand j’étais gosse.

Parle nous de tes influences.

L’artiste Goujin ishihara tient une place particulière. J’aime son style parce qu’il n’est pas traditionnel et plus réaliste. Il fait essentiellement des posters de films, ce que j’aime beaucoup. J’ai découvert son travail à l’adolescence, en parcourant internet à la recherche d’informations. J’aime son traitement des histoires et des personnages. Ses peintures pour les films sont très étranges, effrayantes, son imagination et la façon dont il peint ses personnages m’inspirent beaucoup. Kawanabe Kyôsai est aussi une référence très importante pour moi, comme pour la communauté du tatouage d’ailleurs. Ses sujets ainsi que leurs récits rendent ses œuvres très excitantes. Je n’ai jamais copié de façon exacte, j’ai toujours essayé de faire ma propre version. Je ne vois aucun intérêt à copier puisque cela a déjà été fait par l’artiste. Le plus important est de reconnaître l’influence et de grandir à partir de celle-ci. Un autre artiste dont j’adore le travail est Hayao Myazaki (le célèbre réalisateur japonais) dont j’adore les films. Ils sont tellement créatifs.

Ton travail couvre un champ très large, du mignon jusqu’à l’horreur. C’est un équilibre conscient que tu recherches ainsi ?

Si je me concentre trop sur une seule et même chose, cela me rend dingue. Je m’ennuie. J’aime avoir un peu de beaucoup de choses pour me sentir accomplie. J’ai besoin de me challenger tout le temps et d’aller ailleurs que les domaines dans lesquels je suis bonne. J’aime aussi jouer avec le sentiment que peuvent susciter une illustration. J’adore parfois faire des choses très mignonnes pour faire sourire les gens, et d’autres où j’ai juste envie de faire des trucs dingues et flippants. Cela reste toujours beau par contre. Ce sont des messages contradictoires pour le cerveau, cela créé une sorte d’inconfort que j’apprécie. J’aime ce sentiment inquiétant et intriguant dans l’art. La perfection et la joie, tout le temps… c’est tellement ennuyeux. L’équilibre est important dans toutes les choses de la vie.

Les challenges dont tu parles sont aussi une manière d’expérimenter ?

S’en tenir à une seule chose ou à ce que tu sais faire n’aide pas à grandir ou à devenir un meilleur artiste. J’en vois beaucoup se faire piéger ainsi. C’est un peu comme la cuisine, si tu disposes toujours des mêmes ingrédients, tu sauras en fin de compte comment bien les cuisiner. Mais il est possible que cela finisse aussi par lasser, toi mais aussi les autres, tes clients. Essayer de nouvelles choses ouvre l’esprit à plus de possibilités ainsi qu’au simple plaisir personnel de la réalisation. Beaucoup de gens se préoccupent de la consistance de leur travail et celle-ci peut les rendre célèbre. Mais l’art selon moi n’a rien à voir avec la célébrité, il s’agit plus de grandir pour soi-même. En tant qu’artiste, on ne devrait jamais être complètement satisfait(e) de notre travail. Savoir que l’on a encore des progrès à faire c’est important, cela pousse à travailler plus.

De quelle façon tes clients participent à cette progression ?

Dans le tatouage, ils voient ton travail et veulent quelque chose dans lequel tu es bon. Donc tu finis par faire encore et encore la même chose, parce que c’est ce que les gens veulent. Ce n’est pas mauvais, c’est juste que cela fonctionne comme ça. Je reçois cependant beaucoup de clients qui viennent me voir avec un esprit très ouvert, et là je m’éclate. Mais cette liberté, j’en profite vraiment pleinement quand je peins, pour moi-même et qu’il n’y a personne d’autre pour orienter mes choix. Chaque tatouer/euse devrait peindre ou faire quelque chose en-dehors du tatouage, afin de se souvenir que l’art n’est pas simplement une question de technique ou de perfection. Etre bordélique, expérimenter, faire des erreurs, c’est possible en peinture. Pas dans le tatouage. instagram: wendyphamtattoo http://wenramen.bigcartel.com