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Mick Tattoo

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INTERVIEW MICK ZURICH

@pascalbagot

À presque 60 ans, Mick fait figure de référence dans le monde du tatouage japonais en Europe. Installé au calme dans une maison à flanc de colline, dans une région reculée de Suisse près de la frontière allemande, il poursuit un travail entamé dans les années 1990, bien avant l’essor d’Internet. Tatoué par le maître japonais Horiyoshi III, longtemps basé à Zurich, il reste l’un des artistes les plus respectés de sa génération. Discret, méfiant envers les réseaux sociaux, il continue à recevoir ses clients dans un lieu à son image : sobre, exigeant, et tourné vers une forme d’excellence artisanale.

L’évolution technique des machines a participé à changer considérablement le paysage du tatouage ces dernières années. Je vois que tu utilises un Pen, qu’en penses-tu ?

Le Pen n'est pas le diable, c'est juste un autre outil. Si cela n'avait pas fonctionné, je ne l'aurais pas utilisé. Mais ça marche et ces jouets sont puissants. Être radical ou puriste n'est pas toujours une bonne chose, dans la vie comme dans le tatouage. Il faut rester flexible. J'aime le Pen pour le bokashi et la couleur mais pas pour les contours - pour ça, je continue à utiliser la bonne vieille bobine.

Comment s’est faite la transition ?

J'ai un client, un tatoueur allemand, qui m'a apporté sa machine pour que je l’essaie directement sur lui, pour colorer quelques éléments. Je l'ai trouvée très agréable à utiliser. Ensuite, un ami m’a appelé, il était surpris que je sois content de cette machine. Il m’a aidé à en obtenir une auprès d'un fournisseur. Hahaha, je suis un campeur heureux. L'aspect sans fil est vraiment un plus, cela rend le travail très confortable. En revanche, comme tout est jetable, ça produit beaucoup de déchets… Pas sûr que ce soit le système préféré de la WWF !

Comment vois-tu le monde du tatouage aujourd'hui ?

A travers des lunettes… (rires). C'est fou à quel point ça a explosé. Pas plus tard que ce matin, j'ai reçu un courrier d’une association caritative disant : « Vous êtes un studio de tatouage sélectionné, vous pouvez faire quelque chose de bien pour notre cause. Le 21 mars c'est la journée internationale du tatouage. » Bien sûr, je n’en ai jamais entendu parler. Donc maintenant, les responsables marketing utilisent la popularité du tatouage pour récolter des fonds… C’est absurde, non ? Ils ont même joint un bordereau de paiement. Comment font-ils ?

La popularité du tatouage s’est largement répandue, et le nombre de studios a aussi explosé. Qu’est-ce que cela t’inspire ?

Cela signifie que le travail s’est un peu plus dilué, forcément. Beaucoup de clients vont là où c'est le moins cher, sans se soucier de la qualité du travail, mais ce n’est pas phénomène nouveau. Ce qui change, c’est la popularité de ces magasins discount. Elle est plus importante aujourd'hui car il y a plus de studios. Cela dit, il faut aussi reconnaître que la qualité du tatouage a atteint un niveau qu'on n'aurait jamais imaginer dans les années 1980. Si tu vas à une convention de tatouage de nos jours - en particulier dans ces grands événements comme Le Mondial du Tatouage à Paris ou Gods of Ink à Francfort - tu croises des artistes incroyables. Il y en a tellement que je ne connais même pas une fraction d’entre eux ! (rires)

Peut-on suivre ce monde du tatouage moderne quand on n’est pas - comme tu l’as été jusqu’à récemment - actif sur Instagram, la plateforme aujourd’hui centrale pour ce milieu ?

Dans les années 1980 et 1990 il y avait les magazines. Aujourd’hui, c’est Instagram. Pourquoi se voiler la face ? Je ne vois pas cela comme quelque chose de négatif, au contraire. C'est une vraie source d’inspiration et cela permet de garder les idées fraîches. L’important c’est de ne pas de se reposer sur ses lauriers. Certain(e)s artistes repoussent les limites du médium, et ça me motive à continuer à produire du bon travail. Le fait qu’il y ait plus d’artistes talentueux élève le niveau général, et c'est une bonne chose, pour les clients comme pour les tatoueurs.

Ce retrait volontaire des réseaux a-t-il eu un impact sur ton activité ?

Pendant longtemps, j'ai été surpris de constater que cela marchait bien pour moi, même sans utiliser cet outil. Mais j’ai fini par réaliser qu'une bonne partie de la jeune génération ne cherche plus un numéro de téléphone pour appeler. Certains pensaient même à tort que j'étais tellement occupé qu’il fallait attendre une éternité pour obtenir un rendez-vous - ce qui est complètement faux. Aujourd’hui, par exemple, je suis booké seulement deux mois à l’avance. C’est aussi pour corriger ce genre de malentendus que j’ai décidé de me rendre un peu plus visible en ligne.

Comment trouves-tu aujourd’hui le bon dosage dans l’utilisation d’Instagram?

C'est un flux d'informations constant, et parfois difficile à gérer. Alors, j’essaie de limiter mon temps sur ce foutu téléphone autant que possible... Mais il y a quand même des choses intéressantes. Par exemple, je peux enfin voir le travail de vieux amis que je ne pouvais pas suivre avant. Pour l’instant, je me contente de quelques publications et d’un cercle restreint de contacts. J'essaie d'être assez sélectif sur ce que je partage. C'est presque un travail à part entière ! Il faut apprendre à nourrir ça, un peu comme un tamagotchi. Et ces putains d’emojis… Je trouve ça franchement puéril. Parmi les comptes que je suis, j’aime beaucoup celui de Lal Hardy. Il partage souvent des choses très cool et instructives sur l'histoire du tatouage européen. Mais j’encourage les gens à aller au-delà d’Instagram, à creuser un peu, à chercher les racines de tout ça.

Comment vois-tu ton rôle dans ce monde aujourd'hui ?

J'essaie de rester cohérent et de continuer à proposer des tatouages de qualité. C'est gratifiant de voir des jeunes générations venir ici, poser des questions, chercher à s’améliorer. Si je peux les aider, tant mieux. C’est une manière de rendre au tatouage ce qu’il m’a donné. Quand j’ai commencé, c’est en me faisant tatouer que j'ai appris. Je suis allé rencontrer ceux que j’admirais, ceux que je pensais qu'ils savaient ce qu'ils faisaient. Se faire tatouer, poser des questions, recevoir des réponses instructives, c’est un échange équitable. Apprendre sur Internet est certes utile mais cela peut donner l’illusion que tout est facile. Pourtant, tu ne fais que regarder quelqu'un d'autre faire quelque chose que tu ne peux apprendre qu'en le faisant toi-même. C'est comme lire un livre pour apprendre à nager. À un moment, il faut se jeter à l’eau.

Tu t'es fait faire les bras par Horiyoshi, qu'as-tu appris de lui ?

Que dans le tatouage japonais, le fond est primordial. Tu peux mettre Mickey Mouse et Dingo dans un dessin, mais si tu as un bon fond japonais, il aura l'air authentique. C'est seulement en y regardant à deux fois que tu verras des personnage de Disney au lieu de l'imagerie japonaise traditionnelle. Et puis, bien sûr, il faut étudier un peu l’Histoire, comprendre les récits derrière tous ces personnages. Horiyoshi III disait souvent : « La culture japonaise est très profonde et une fois que tu y es, elle est très large ». C'est donc sans fin. Quand j’ai commencé dans les années 1980 j’étais avide de livres sur la signification de l’imagerie mais ils étaient inexistants. Aujourd’hui il en existe beaucoup.

Tu fait partie des pionniers européens dans cette quête d’authenticité du style japonais.

Honnêtement, je suis un tatoueur occidental qui essaie de faire du style japonais et je le resterai toute ma vie. Il y a quelques années, je voulais peut-être être très précis, respecter les bonnes associations entre les animaux et les saisons et toutes ces choses qui traduisent de l’authenticité, mais je ne peux pas insister si le client souhaite une certaine imagerie - à moins que ce ne soit extrêmement faux. Ce n’est pas moi qui porterai le tatouage. Je lui dis : « Ce ne serait pas juste, un Japonais te dirait que ce serpent n’a rien à faire avec des fleurs de sakura ». Mais si cela fonctionne graphiquement, que le placement est bon et que le client est content alors c’est le plus important. En fin de compte, ce n'est que de l'encre dans la peau. Il ne faut pas être trop religieux.

Ton travail est exclusivement consacré au tatouage japonais ?

Non, j'essaie de garder une certaine variété, ça m’aide à garder l'esprit ouvert. Néanmoins, 90% de mon travail est d'influence japonaise ou asiatique.

Et dans l’ensemble de ta pratique artistique, quelle place tient le tatouage ?

Environ 90% du temps que je lui consacre.

Et la peinture, quelle place occupe-t-elle dans ta pratique ?

C'est un peu comme les montagnes russes. Il y a des périodes d’inspiration et je fais quelques toiles. Puis, parfois, pendant des mois, je n’ai pas trop envie de peindre. Quand je tatoue, il m’arrive souvent de mettre de côté des idées à explorer plus tard en peinture. Et puis c'est aussi une question d’énergie.

Est-ce que ta peinture reçoit la reconnaissance qu'elle mérite ?

Dans le monde du tatouage, oui. Mais je pense que pour la plupart des tatoueurs qui peignent, il est difficile d’être reconnu dans le monde de l'art. J'admire le travail acharné de personnes comme Mike Dorsey, aux Etats-Unis, ou Oliver Macintosh en Angleterre. Ils sont vraiment, vraiment excellents et font progresser la peinture issue du tatouage d'une manière formidable.

Souhaiterais-tu davantage de reconnaissance de la part des institutions artistiques ?

Ce serait bien une petite exposition ailleurs que dans une galerie liée au tatouage. La famille Leu a réussi à en organiser une au musée Tinguely, à Bâle - c’était une grande avancée pour le tatouage européen. Voir cette famille d’artistes reconnue par un grand musée, c’est génial.

Pourtant, ces institutions n’ont jamais vraiment aimé le tatouage ?

Nous sommes un peu comme l’enfant roux du monde de l’art... Le tatouage a longtemps été sous-estimé. Des figures comme Ed Hardy ont montré comment faire les choses correctement. Le travail de pionnier qu'il a réalisé est très important. Il a su parler le langage des artistes « éduqués », leur expliquer que le tatouage est une forme de création à part entière. Le monde du tatouage tel qu’on le connait aujourd’hui lui doit énormément. Sans lui, le tatouage occidental en serait encore aux vêtements pour bébés.

Physiquement, comment ton corps a-t-il encaissé toutes ces années passées à tatouer ? Quels conseils donnerais-tu ?

Il faut bouger. Moi je fais une demi-heure de marche tous les matins, juste pour commencer la journée. Quand tu passes des heures assis sur une chaise, ton dos finit par te le faire payer. Je fais aussi du vélo - un vélo électrique, parce que dans les montagnes comme ici, ça monte et ça descend ! and même des montées et des descentes dans les montagnes ici. Désolé, je n'ai plus vingt ans, cela aurait pu être un défi à l'époque, mais non merci. Cela dit, j’ai quand même fait 20 kilomètres hier. CONTACT : Mick Tattoo IG : @micktattooswitzerland Tel : +41 (0)44 262 66 20