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LUKE ATKINSON

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LUKE ATKINSON

Bien connu des visiteurs du ‘Mondial du Tatouage’ où il officie comme membre du jury depuis quelques années aux côtés de Kari Barba, Bill Salmon et Filip Leu, Luke Atkinson est un vieux routard du tatouage. Des quatre coins du monde où sa passion pour l’encre l’a conduit, et notamment du Japon où son expérience l’a transcendé, l’Anglais a bâti une éthique du métier dont il fait pro-fiter ses clients depuis 25 ans, dans son studio de Stuttgart : Checker Demon.

Tu es membre du jury au Mondial du Tatouage à Paris de puis 2015. A ses yeux, qu’est-ce qu’un bon tatouage?

Parmi les critères importants que nous regardons il y a le placement sur le corps, l’aspect technique (le tatouage va-t-il accompagner le tatoué tout au long de sa vie ? Est-il bien appliqué ?), le motif (est-ce qu’il fonctionne comme tatouage ?). Je pense que les tatouages devraient avoir une approche simple, les gens ont tendance à les rendre extrêmement compliqués.

Tu évoques la longévité des tatouages, que penses-tu des styles comme le dot-work ou l’effet aquerelle que l’on peut voir passer?

Des tatouages sans tracé, avec peu de dégradé de noir… je pense qu’ils seront assez ternes en vieillissant. Mais personne n’en parle, les gens sont bombardés dans les mé-dias de photos de tatouages fraîchement réalisés. Ils ne réalisent pas qu’ils perdent de leur éclat au fil du temps, c’est inévitable. Les gens vont apprendre à la dure. Pourtant, je considère que c’est la responsabilité du tatoueur d’informer les clients qui viennent avec ce genre de demandes.

Quel regard portes-tu sur les nouvelles générations de tatoueurs ?

Il y a de très grands tatoueurs aujourd’hui. Certains sont toujours passionnés, désireux d’apprendre, ils disposent de plus de l’audace nécessaire pour voyager et bâtir ainsi leur réputation. Je crois profondément que si tu fais un métier qui te plait, tu ne travail-leras jamais aucun jour de l’année. Mais beaucoup se retrouvent aussi coincés dans une attitude plus commerciale, attentive aux modes. C’est une industrie maintenant.

Les tatoueurs ont tendance aujourd’hui à se spécialiser très jeune, mais toi tu insistes au contraire sur la nécessité d’être capable de travailler tous les styles. Pourquoi ?

Je pense que c’est mieux pour ta progression personnelle d’essayer de tout faire afin de savoir ce que tu aimes. Par ailleurs, je pense aussi que tu as plus de chance dans ce métier si tu es quelqu’un de sociable, si tu as cette capacité à écouter ce qu’ils ont à dire. C’est très important car nous sommes très vulnérables dans la douleur ; les bar-rières tombent et les gens s’ouvrent à toutes sortes de choses. Etre capable de mettre les gens à l’aise dans ces circonstances, c’est une compétence en soi.

Tu évoques l’importance du voyage pour se faire un nom dans le milieu. Toi tu as d’abord vécu très jeune âge à New-York, à 15 ans tu as quitté l’Angleterre pour partir vivre à Cologne, en Allemagne, que tu quittes réguièrement pour partir à l’étranger. Comment ces voyages ont-ils formé le tatoueur que tu es au-jourd’hui ?

Quand j’ai commencé à voyager sérieusement, j’avais comme objectif de travailler avec certaines personnes. Je voulais leur rendre visite, me faire tatouer et laisser les choses arriver. Ce n’était pas courant à l’époque d’entrer dans un shop et de dire : « Voici mon portfolio, jetez-y un œil. Je peux avoir du travail ? » Je l’ai fait à chaque fois et on ne m’a jamais refusé, personne ne m’a jamais dit non. A 20 ans j’ai quitté l’Europe pour New-York avec 1000 dollars en poche. Je disais à mes potes : « Je vais vivre à New-York ! », et ils me répondaient: « Ok, on se revoit dans deux semaines ! ». Mais je ne suis jamais re-venu. Et un an plus tard, je partais pour le Japon avec la même somme en poche. J’ai beaucoup appris avec les artistes qui m’ont donné l’opportunité de travailler avec eux. Le monde t’appartient une fois que tu as dépassé la peur de l’inconnu. Voyager seul est aussi une bien meilleure option : tu es concentré sur ce que tu veux et tu fais face à tes propres expériences. Et puis pourquoi t’inquiéter ? Le tatouage te permettra toujours de manger et de payer ce que tu dois avant de poursuivre ta route.

Tu es un des premiers tatoueurs européens à te rendre au Japon à la fin des an-nées 80 où tu rencontres le tatoueur Horiyoshi III, comment cela s’est-il passé ?

A 17 ans je correspondais avec lui, par écrit. Je ne l’avais pourtant jamais rencontré. Mais un jour j’ai mis la main sur son adresse et je lui ai envoyé des photos de mon tra-vail, accompagnées d’une lettre. Il m’a répondu de la même manière et cela a changé ma vie. Quand plus tard je lui ai annoncé: « Je vais venir vous voir au Japon !» Il m’a dit que j’étais le bienvenu, se disant sans doute que je ne viendrais jamais. Mais… « Ding dong ! » J’étais si jeune, beaucoup des gens à qui j’ai rendu visite ont été des figures paternelles pour moi. J’ai été très chanceux d’avoir fait des rencontres aussi riches et de m’entendre aussi bien avec eux.

Comment expliques-tu ce retour positif à une époque où le milieu du tatouage était encore assez fermé ?

Parce que j’ai fait preuve de passion et d’intérêt pour apprendre. La passion ouvre les portes, ça j’en suis convaincu. Au-delà du tatouage il y a le spectre plus large de l’expérience de la vie. Passer du temps avec ces gens, manger avec eux, faire de nou-velles expériences culturelles… si tu es ouvert à toutes ces choses, si tu ouvres ton es-prit pour accueillir la vie, les gens savent l’apprécier, ils voient que tu fais un effort, que tu as le désir d’apprendre leur manière de faire. Cela nous touche tous.

Ce voyage au Japon a été une étape importante dans ta carrière, comment s’est-il passé ?

J’ai passé beaucoup de temps avec Horiyoshi III, Horitoshi I, Horiwaka… à les regarder pratiquer leur art, travailler sur des pièces grand-format tous les jours. Voir ces images grandir progressivement c’était fantastique. J’ai vraiment pris conscience que c’est ce que je voulais faire, même si je n’étais pas encore prêt pour ce genre de choses. Cela a grandit progressivement.

Tu as une relation particulière avec la divinité bouddhiste Fudô Myô-ô (généra-lement représentée avec une figure grimaçante, un œil regardant vers le haut, l’autre vers le bas, tenant dans une main une corde, dans l’autre un glaive, ndlr) dont tu as une représentation tatouée sur le dos. Peux-tu nous en dire plus ?

Je l’ai découverte au Japon, je devais avoir une vingtaine d’années. Dans de nom-breuses cultures où ce genre de divinités bouddhistes existent, ils disent que certaines parlent plus à certains. Celle-ci m’a sauté au visage, j’étais immédiatement fasciné. J’ai cherché avidement ses représentations dans les temples, sous forme de sculpture, de peinture ; je l’ai aussi vue sous forme de tatouage chez Horiyoshi III. Cela m’a… rempli. Fudô Myô-ô est le dieu de la sagesse, un symbole fort et protecteur. Il tranche avec son épée à travers les inepties, confond le mal… Il y a une dizaine d’années, j’ai décidé de mettre en place une exposition avec des amis intéressés par le sujet. Cela a été un tel succès que j’ai décidé de la décliner tous les 6 mois sur une période de plusieurs années. C’était très satisfaisant de voir la popularité de cette divinité grandir dans le répertoire des tatoueurs du monde entier.

De tous ces voyages, un personnage sort-il particulièrement du lot ?

Hanky Panky (Henk Schiffmacher, tatoueur à Amsterdam aux Pays-Bas, ndlr) probable-ment. Il a fait mon premier tatouage à Amsterdam quand j’avais 15 ans. Son studio était dans un coin sordide, façon « sexe, drogue et rock’n’roll dans la cité du vice ! » Quand je suis entré, j’ai vu Henk, il y avait aussi quelques Hell’s Angels. J’avais apporté avec moi le dessin que je souhaitais me faire tatouer mais quand il m’a donné le prix j’ai compris que je n’avais pas assez d’argent. Je lui ai demandé de me tatouer pour ce que j’avais… et j’en ai eu pour 15 minutes ! Mais j’étais mordu. Je suis revenu plusieurs fois le voir à Amsterdam, j’avais toujours la même demande à lui faire: « Je veux apprendre à tatouer». A chaque fois, il me foutait dehors. Plus tard, une fois que j’ai commencé à tatouer, je suis revenu lui montrer à quel point j’étais toujours motivé. Je me souviens très précisément de ce qu’il a dit : « Ecoute, va te faire foutre autour du monde et ensuite viens me voir ! » C’est exactement ce que j’ai fait et, une fois de retour en Europe, il m’a pris plusieurs mois dans son street-shop. C’était une fantastique expérience.

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