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Romain Pareja, Hand in Glove

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“Hand in glove We can go wherever we please And everything depends upon How near you stand to me And if the people stare Then the people stare I really don't know and I really don't care” The Smiths

Hand in Glove. Rue Trousseau. XIème. Il est 18h et les derniers rendez-vous sont partis. C’est dans une boutique calme que je retrouve Romain Pareja, tatoueur de son état et maître des lieux. Après quelques minutes de pause clope durant lesquelles nous déflorons allègrement l’interview, car l’homme est loquace, nous descendons dans la grande cave voutée, espace cosy et accueillant où les trois postes de tatouage s’alignent. Nous prenons place sur un tabouret.

HAND IN GLOVE... En 2011, Romain vient d’avoir des jumeaux et après quelques années en shop, un pote achète un local dans sa rue préférée et lui propose tout de suite d’y installer son activité. Les lieux se prêtent à un salon de tatouage… c’est l’opportunité qui est à la naissance d’Hand in Glove. Pour le nom, après avoir pensé à « In my eye » en référence à une fameuse chanson du groupe de Hard Core américain Minor Threat : raccord pour le lien à l’addiction qui peut-être commun au tatouage mais recalé pour défaillances en termes de sonorités. Il opte finalement pour un titre des non-moins fameux The Smiths dont les paroles sonnent à ses oreilles comme en lien étroit avec l’état d’esprit qu’il veut pour ce lieu : respect, ouverture et tolérance, en dehors des poses de bad boy en accord avec la vision qu’il a du tatouage : « if the people stare (…) I really don’t care. »

Ils commencent à trois tatoueurs confirmés (Romain, Cokney et Hugo). Ces critères électifs en termes de travail mais aussi d’état d’esprit le pousse à choisir un tatoueur « pas forcément parce que le mec est le plus connu mais parce qu’il travaille proprement et aussi humain, qu’il y ait une entente ». Il poursuit : « le shop est pas forcément énorme, quand tu tatoues, tu passes pas mal de temps dans la boutique donc pas mal de temps dans un espace restreint avec les mêmes personnes ; faut que ça colle ». Deux tatoueurs du début officient encore à Hand in Glove quelques 6 ans plus tard. Par ailleurs, Romain cherche une stabilité et c’est pour cette raison qu’il ne se consacre plus à l’apprentissage comme il y aurait été tenté et l’a fait d’ailleurs à l’ouverture du shop : « je trouve qu’il y a trop de tatoueurs. Il y en a trop qui font n’importe quoi aussi. Ça se dilue sur les boutiques et il n’y a pas forcément la demande. J’ai pas envie de former un mec pour qu’il se casse après. Je formerai un tatoueur avec un vrai talent de dessin pour qu’on bosse ensemble mais former un mec pour qu’il ait pas de taf, ça sert à rien».

Sa conception du tatouage le pousse à porter un œil lucide sur le développement de la pratique : « Il y a plein de tatoueurs talentueux, ça s’est vachement démocratisé. Y’a des très bons mais y’a quand même aussi des très mauvais. Et surtout, certains sont tatoueurs de modes : ils font ce qui marche en ce moment, ils ne savent faire que ça et ne font que ça. Mais une telle démarche ne tient qu’un temps parce qu’une boutique de tattoo, ça ne marche pas comme ça…il y a des gens qui ont différentes demandes, il faut savoir y répondre en ayant de solides bases de dessin qui te permettent de faire un peu tout ce que tu veux. Le tattoo c’est pas juste de la couleur, du noir, du japonais ou du tribal, c’est l’ensemble. C’est important d’avoir un panel hyper large, après peu importe dans quel style tu vas t’orienter, tu te serviras de tout et tu n’auras pas de frein»

...ET AILLEURS A la question « Et toi, tu vas ailleurs ? », Romain répond qu’il doit travailler régulièrement au shop car une boutique de tatouage, c’est une passion mais c’est aussi une affaire à faire tourner avec des charges, des carnets de rendez-vous, etc. La boutique permet un travail avec ses repères et facilite l’équilibre avec sa vie de famille et ses autres passions à côté. « Je voyage moins pour tatouer parce que je n’ai pas le temps et quand je bouge, j’ai pas forcément envie de tatouer. Et d’ailleurs, quand je vais à l’étranger, chez d’autres tatoueurs, je préfère même passer du temps avec eux en dehors du tatouage ». Il ne courre plus les conventions qu’il appréciait surtout pour les rencontres avec d’autres tatoueurs dont certains, au fil des ans, sont devenus des amis. D’ailleurs, la boutique invite régulièrement des potes ou des potes de potes qui sont de passage. Les guest se font par affinités et également parce que Romain pense qu’il est important de cultiver l’échange avec des gens qui ont une autre vision du tattoo, une autre culture, qui vivent dans un autre pays avec une approche différente vis-à-vis du client ou un fonctionnement de shop différent.

As-tu le sentiment qu'il existe des mouvements dans le tatouage français Ou mondial ? « Y’a davantage des styles différents de tattoo, certains font du jap trad, d’autres vont avoir un côté plus comics, d’autres vont faire principalement des pièces en noir ou des trucs plus simplistes, du old school, du new school, tribal et à l’intérieur de chaque style des mecs vont aborder les choses très différemment. Mais ces mouvances ont presque pas changées depuis le début à part peut-être les trucs graphiques ou simplistes qu’on voit de plus en plus et qu’on ne voyait pas avant. Après, je trouve que le tattoo c’est pas de la peinture ni du dessin sur papier. Certains tatouages sont faits qui sortent des codes, c’est sûr, mais qui ne se prêtent pas forcément au tattoo. En tatouage, tu peux faire tout mais est-ce que tout marche bien ? y’a certains codes : au niveau de la technique de tattoo, du visuel, du placement, du mouvement, le tattoo doit perdurer dans le temps. Il y a certaines choses qui semblent cools, qui n’ont jamais été faites et qui semblent nouvelles mais il y a une raison : peut-être que le corps ne s’y prête pas. C’est peut-être nouveau mais pas forcément beau.»

TA PRATIQUE DU TATTOO Technique Ce quarantenaire chevronné qui tatoue depuis 14 ans, affiche une conception pleine de sagesse de son art : « le tatouage est le métier de toute une vie où l’on a besoin en permanence d’apprendre de tout et de tout le monde dans lequel il faut savoir rester ouvert et écouter les autres »q Il a commencé sur des supports humains vivants, premières années à scratcher les potes avec qui il faisait de la musique et du skate. Mais plus aucun de ces tatouages ne sont visibles car il a, dit-il avec un sourire, exécuté tout le monde. En fait, ils portent encore les stigmates de ses débuts et rien n’a été recouvert.

Le positionnement de ses pièces, le jeu avec les rotondités du corps, l'anatomie en général est toujours pertinent (gueules de dinosaures ouvertes sous les aisselles...) Pour Romain, comme pour de nombreux tatoueurs, la première question c’est : « qu’est-ce que tu veux faire et où tu veux le faire ? ». Il développe des conceptions très réfléchies de cette approche du placement : « Si on considère le corps comme une BD où chaque partie à tatouer est une page différente. Tu apporteras un soin particulier à chaque page : tu ne vas pas tatouer le bras de la même manière que le dos. Ton bras sera découpé en quatre parties : le devant du bras avec le biceps et l’épaule, puis le dessus de l’avant-bras, l’intérieur de l’avant-bras et enfin l’intérieur du biceps. Donc, si tu fais une pièce qui fait un bras complet, il faut que sur ces quatre parties qui se lisent différemment, il se passe quelque chose. Tu seras donc attentif à ce que ta pièce puisse tourner, qu’il y ait du mouvement mais aussi que sur chaque partie, il y ait un élément à lire. Tu ne mettras pas un dos de personnage sur l’intérieur du bras, parce qu’un dos, on s’en fout et que s’il n’y a que ça sur une partie…génial ! » dit-il avec ironie.

Par ailleurs, son tatouage se caractérise également par des pièces avec des cadrages, des prises de vue mettant en valeur la dynamique et le mouvement car précise-t-il : « le tatouge est un dessin figé sur un corps en mouvement. Si ce corps en mouvement est illustré de pièces statiques, ça dérange l’œil ». Amoureux du dessin, dont il aime les lignes, les formes, la dynamique, Romain recherche « un dessin qui soit lisible qui te parle sans que tu aies besoin d’apporter un agrément comme la couleur dessus », il dessine donc beaucoup au noir et en traits.

As-tu déjà utilisé de la peau synthétique ? Qu'en penses-tu ? Je pense qu’une peau synthétique ou une orange, il n’y pas vraiment de différence. Si tu veux savoir vraiment ce que c’est que le tattoo, faut tatouer un mec. Une peau de porc chopée chez le boucher, il n’y a plus de sang dedans. Tu n’as pas la même réaction au tatouage : la peau est en train de se nécroser, elle n’est plus irriguée, ce n’est plus une peau vivante qui réagit. Une peau synthétique, c’est le même principe. Tu tatoues une peau synthétique ou le canapé de ta grand-mère c’est pareil…Tu ne peux pas avoir la texture d’une vraie peau avec une peau synthétique, par ailleurs, il y a d’autres facteurs : la nervosité du tatoué, ses mouvements, la peau qui bouge, la tension de la peau. Une peau synthétique, c’est rigide. Il faut apprendre à tendre la peau pour tatouer, essuyer le sang. Par ailleurs, tu vas pas tatouer le cou de la même manière que l’intérieur du bras, que le biceps, le pied ou la main…

Thèmes Nourri des films de la Hammer (Dracula, Frankenstein...) et de comics, en particulier « Bernie Wrightson, le plus grand dessinateur du monde », il aime tatouer les créatures et personnages tirés de ce panthéon mais également les thèmes classiques type crâne... Il confie néanmoins ne pas avoir réellement de thème de prédilection et toujours être à l’écoute du futur tatoué, envisageant la nouvelle pièce dans son rapport à cette personne, ses envies, son corps.

MUSIQUE Parmi les nombreuses autres passions de Romain, la musique figure en bonne place. Son père écoutant beaucoup de musique, il s’est plongé dès son plus jeune âge dans la discothèque paternelle nourrie de nombreuses références allant de Rod Stewart, BB King à Dire Straits en passant par les Jackson five…Il a développé ainsi une grande curiosité qui l’a poussé à s’intéresser au classique, au jazz. Et certains goûts se sont forgés : « tu sais pas pourquoi, t’as plus d’affinités pour un truc » dit-il mais, lui, cela a été plutôt autour du rock anglais, du vieux ska anglais, les Smiths, les Jam, les Clash, Bad Manners, Specials, Madnes, puis du ska américain, du rock steady : Toots and the Maytals, Don Drummond et du Hard Core qu’il découvre dans le milieu du skate qu’il pratique intensément : Subhumans, Black Flag, Minor Threat. Par ailleurs, sa mère travaillant dans le théâtre municipal de la ville du Mans, les portes des spectacles s’ouvraient facilement et ainsi, le jeune Romain a pu voir de nombreux concerts et notamment l’Europa Jazz. Il trouve des similitudes dans ces musiques : jazz, rock steady, hard core, hip hopqui le nourrissent et lui donne envie de pratiquer : batterie, guitare, basse et saxo qui est son instrument de prédilection avec lequel il joue dans des groupes de ska (Hot tongs puis Rude Boy System). Il officie également à la guitare et à la basse dans des formations Hard Core (Cobalt). Son père l’encourage dans cette voie (tant que l’école n’est pas négligée) et Romain enregistre son premier album à 15 ans et poursuis cette carrière jusqu’à l’âge de 27 ans. Il vit durant une période de musique et de skate.

SPORT Il commence le skate à 7-8 ans, regarde les vidéos dont la bande-son sur fond de Hard Core le séduit. Pendant des années, il skate matin, midi et soir. Il passe donc pas mal de temps dans la rue. Il a fait par ailleurs de la boxe thaï, du thaï kwendo de la boxe américaine, anglaise. Boxe 10h par semaine, skate 40 à 50h par semaine ! Le skate le rapproche du monde du tattoo. « Je voulais commencer le tattoo très jeune. Mon frère voulait m’acheter une machine à tatouer à quatorze ans, mes parents ne voulaient pas redoutant que je finise à 18 ans blindé de tattoos pourris ». Il fait à cette époque énormément de skate, obtient un sponsor. Côté dessin, il fait des pochettes, des logos pour les groupes, la marque de skate pour qui il ride. Néanmoins, comme Romain le raconte : « le skate engendre beaucoup de blessures donc t’as plus de sponsor (rires), le punk-hard core et le ska ce sont pas des musiques commerciales qui te permettent de vivre or, en grandissant, tes besoins grandissent… ». Il continue la musique et le tattoo en parallèle et finit par choisir ce dernier. Il pratique également la plongée et va à la rencontre des requins, un animal qui le passionne depuis toujours. Il est familier des greens et pratique assidument le golf. Inutile de préciser qu’il arrive à un niveau très honorable dans chacune de ses passions. ET À PART LE SPORT, LA MUSIQUE ET LE TATTOO ? Lorsque Romain affirme qu’on ne peut s’investir à fond dans plein de domaines différents, il faut entendre : on ne peut pas tout faire en même temps mais on peut s’investir successivement dans ses passions et les cultiver tout de même en parallèle et que, comme il le dit : « dès lors que tu t’investis dans quelque chose, ça t’apporte énormément. » En revanche, il précise ; « tu me vois pas trop faire des peintures parce que c’est pas trop mon truc, j’ai un peu gribouillé sur les murs mais il faut vraiment s’investir…j’aime le côté instantané du dessin et j’aime le tatouage parce que j’aime le fait de travailler sur un support vivant, le fait que cela soit un support en mouvement, j’aime la texture et préfère le rendu du tattoo sur la peau à celui de la peinture sur une toile. En ce moment, j’ai surtout envie de me mettre à la gravure » confie-t-il. Il y trouve en effet des analogies avec le tattoo : partir du dessin, travailler la matière (en l’occurrence, le bois qui est aussi une matière vivante). Merci à Romain. Reportage par Eric Guillamaud