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L’Androgynette

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L’Androgynette, émotions et punchlines garanties

Texte: Stefayako / Visuels: l’Androgynette

Jamais à cours de jeux de mots percutants et touchants, L’Androgynette soigne les âmes à l’aide de son dermographe. Elle est installée dans son shop privé La Main d’œuvre à Nantes, après des années passées à Bruxelles, notamment au sein de l’incontournable Boucherie Moderne. Tatoueuse engagée et amoureuse des punchlines, elle se définit comme «dessinarratrice». Elle crée des histoires sur peau pour aider les personnes à se réapproprier leur vécu et leur corps. L’Androgynette ne mâche pas ses mots et clame haut et fort son engagement pour l’égalité des genres et contre les violences faites aux femmes, causes qui lui sont chères. En résumé, une tatoueuse au grand cœur!

J’aimerais en savoir un peu plus sur ton rapport au tatouage, raconte-moi ton premier tatouage en tant que tatouée.

J’avais presque 18 ans, à quelques mois près. Je suis rentrée dans le shop de tattoo de ma petite ville avec un pote j’ai commencé à feuilleter les books. C’était pas vraiment des books avec des dessins, plutôt des trucs trouvés sur internet et qu’ils mettaient à la disposition des gens. Et là je tombe sur une phrase d’un de mes auteurs préférés que je lisais beaucoup à l’époque qui était Khalil Gibran. C’est une phrase écrite en arabe qui dit «l’amour est la seule fleur qui croît et fleurit sans l’aide des saisons». Et je ne sais pas pourquoi, j’ai chipé la feuille, je l’ai mise dans mon sac et je me suis barrée. C’était avant d’aller rejoindre ma mère au Maroc, où elle habitait. Je me suis fait tatouer cette phrase chez un autre tatoueur. Et finalement c’était pas mal parce qu’il s’est avéré que ce tatoueur-là avait bossé dans le bar de mon père et ma mère, avant d’être tatoueur. Il était barman. Ce qui est très marrant parce que moi c’est pareil! Histoire de karma, même si j’y crois pas trop ça me fait marrer parce que des fois il se passe des trucs comme ça par hasard.

Est-ce que tu veux m’en dire plus sur le choix de ton pseudo? Quelle en est l’origine?

A l’époque sur Facebook j’avais trop la flemme qu’on me retrouve. J’aime pas les gens qui reviennent des années plus tard en mode «on va chercher ce qu’elle est devenue». Je cherchais donc un pseudo à la con et je pensais à ma tante qui s’appelle Gynette. Et en pensant à «tatie Gyne» ça a donné «gyne-androgyne-l’androgynette», puis dedans il y avait «André», le prénom de mon père, il y avait «Gynette» pour ma tante, il y a le «Gy» de «Gisèle» le prénom de ma mère. On peut retrouver toutes mes origines dedans. En plus à l’époque j’étais beaucoup plus androgyne. Cela me correspond encore, c’est juste que ça se voit moins par rapport aux codes donnés. Je me verrai toujours plus comme androgyne que comme féminin ou masculin.

Comment t’es arrivée au tatouage? Il me semble que tu as suivi plusieurs filières avant de faire des études artistiques.

Oui j’ai vraiment fait plein de trucs hyper différents. J’ai commencé par du social, je voulais être éducatrice spécialisée, puis j’ai cherché dans la communication, ensuite j’ai fait du droit. J’ai fait pas mal de choses pour finalement aboutir sur du graphisme tout à fait par hasard. J’étais au Maroc et j’avais des potes qui partaient à Bruxelles donc je les ai suivis pour passer un concours et j’ai intégré l’école Saint-Luc. Je n’y suis pas restée et je suis devenue barman. C’est un truc que je sais faire parce que je suis née dedans, comme Obélix, je suis tombée dedans quand j’étais petite. C’est le métier où je me sens vachement à l’aise. En étant barman j’ai rencontré des gars qui étaient tatoués, on a parlé tatouage, il y en a un qui m’a ramené un magazine, dedans il y avait Peter Aurisch. Il venait en guest à la Boucherie Moderne, il cherchait un endroit où dormir. Je lui ai proposé de venir à la maison avec sa chérie. A la fin de la semaine, il a vu que je faisais pas mal de dessin et que j’avais plusieurs séances de tattoo prévues avec Léa Nahon ou Jef et il m’a dit «tu aimes le dessin, tu aimes le tattoo, pourquoi tu ne fais pas du tattoo?». Et en fait j’en suis venue comme ça. J’en ai parlé à Léa qui m’a dit «on cherche un apprenti, tu commences demain à 11h». Donc voilà pendant 6 mois j’ai pas beaucoup dormi mais j’ai vachement kiffé.

Un apprentissage avec Léa Nahon c’est un bon début!

Oui c’était vraiment chouette. Il n’y avait pas que Léa; c’est elle qui m’a choisie mais il y avait toute une équipe: Léa, Guillaume, Jenzie. Moi je faisais une moitié de semaine et après il y avait Yannonyme qui faisait l’autre partie de la semaine: on était tous les deux les apprentis de la Boucherie à l’époque. J’ai eu plein de conseils de tout le monde, Jenzie était vraiment comme une grande sœur, Benji et Antoine ont vraiment été aussi comme des grands frères à me taper sur les doigts quand il fallait. Tu en apprends aussi quand tu les accompagnes en convention. Avant tu avais un maître d’apprentissage avec qui tu restais longtemps, de nos jours tu restes vraiment apprentie toute ta vie parce que tu as vraiment plein de techniques et de machines qui changent, et puis tu peux vraiment en apprendre des petits nouveaux aussi. Finalement les meilleurs tatoueurs que tu vas rencontrer c’est des gens qui sont passionnés par l’art et qui se sont retrouvés dans le tattoo comme ça, par hasard. C’est des gens qui à la base ont un talent artistique, qui débarquent et font évoluer le milieu. C’est ces gens-là que je trouve hyper fascinants et c’est de ces gens-là dont tu restes apprentie toute ta vie.

Cela fait combien de temps que tu tatoues?

Cet été, fin juin-début juillet ça fera 10 ans que j’ai mis pour la 1re fois les pieds dans un shop pour être apprentie. Maintenant j’ai des gens qui viennent me voir et qui me disent «ça fait des années que je veux me faire tatouer par toi, je suivais ton travail quand j’avais 14 ans» et là tu te dis «ah oui putain en fait ça fait un bail que je suis là!».

Avant l’ouverture de ton shop à Nantes tu as beaucoup été «sur la route».

Oui j’ai eu un moment de saturation et j’ai eu le besoin d’aller faire des guests et rencontrer d’autres gens. A partir du moment où je commençais à être connue, les gens me regardaient plus pareil. C’est le truc un peu décevant. Je suis vraiment quelqu’un d’hyper intègre et qui a des valeurs profondes et je ne sais pas m’asseoir dessus.

C’est pour ça aussi que tu es revenue en France, que tu as créé ton propre shop la Main d’oeuvre à Nantes ?

Je suis revenue en France pour rejoindre une équipe et finalement ça s’est mal passé. J’étais enceinte et j’ai dû monter un shop, et voilà! C’était pas l’idée que j’avais de base, j’ai pris un shop parce que je n’ai pas eu le choix et au final c’est ce qui me convient le mieux. Après sur du long terme j’aimerais vraiment travailler dans une bonne équipe donc j’espère soit arriver à la créer, soit retenter l’expérience. Moi je suis très horizontale sur les rapports avec les gens, j’ai besoin qu’on soit tous égaux.

Tu as reçu pas mal de guests: qu’est-ce que ça t’apporte au niveau humain, technique, artistique, de faire venir des artistes?

De voir des copains! Je ne fais venir que des amis ou des amis d’amis donc pour moi c’est l’aspect relationnel. En France on se retrouve souvent sur des mêmes thèmes, donc quand j’ai réussi à faire venir Marine Elise de Lyon, qui a quand même une esthétique assez particulière, ou Arthur Tête de mouton de Belgique, tu te dis que tu fais quelque chose aussi pour la scène du tattoo. C’est amener les gens à découvrir autre chose.

Je voudrais qu’on parle un peu de ton style, qui est très reconnaissable. Est-ce que tu as une définition de ce style-là? Quel a été ton parcours et quels ont été tes choix pour t’orienter vers ce que tu fais aujourd’hui?

A un moment j’avais besoin d’être dans ma petite bulle et le dot prend tellement de temps à faire que c’était une très bonne technique. Puis à l’époque aussi c’était la technique la plus facile à apprendre rapidement pour avoir un beau résultat et pouvoir en vivre. J’étais hyper fan de Rafel Delalande, j’ai un de mes tattoos les plus importants de lui, et donc il y a eu une influence esthétique noire, qui mettait de temps en temps des mots. En fait c’est venu de mes sentiments, de mes émotions, et c’est devenu presque une marque de fabrique. C’est indispensable à un point où les mots prennent le dessus sur le dessin et le dessin n’existe plus à la fin.

Est-ce que pour toi le tatouage est devenu un vecteur d’émotions à la fois réparatrices et libératrices?

Je ne sais pas s’il l’est devenu, je pense qu’il l’a toujours été. C’est quelque chose qui ressort beaucoup dans mes tatouages. Avant même que j’existe, les gens se faisaient tatouer à des moments précis de leur vie: des moments tristes ou joyeux. Je pense que le tatouage a un impact presque rituel, même si je ne suis pas dans la définition très ésotérique ou même culturelle ou que sais-je de cet aspect-là, mais je pense que c’est à un moment clé qu’on se fait tatouer dans sa vie. Moi ça ressort plus parce que les gens viennent vraiment me voir parce qu’ils ont besoin que je les aide à matérialiser soit avec des mots soit des dessins.

Tu proposes à la fois des flashs et des commandes. Quel est ton processus de création avec la personne? Comment tu arrives à retranscrire l’histoire qu’on te livre?

Il y a une question que je pose c’est «Qu’est-ce que tu veux que te dise ton tattoo? Qu’est-ce que tu veux qu’il exprime?». Cette question-là va amener la personne à parler, et à un moment elle va poser un mot qui est complètement différent de ce que j’ai l’habitude d’entendre et c’est là-dessus que je vais aller chercher. Et on va trouver, à partir de son histoire et de ce que la personne m’aura raconté, son truc à elle. C’est un processus assez marrant parce que ça ne prend pas longtemps, ça prend entre 10 minutes et 30 minutes max. La dernière fois une personne est venue et m’a dit «Le gars m’en a fait voir de toutes les couleurs». Et voilà, c’est devenu «voir la vie en couleurs». On avait totalement changé la symbolique, on partait sur quelque chose de plus positif. On avait un joli jeu de mots, ce n’est pas une expression connue, une expression que tout le monde utilise. Moi par exemple je t’aurais peut-être dit «Il m’en a fait baver». On a tous une façon de s’exprimer qui nous est propre, et c’est à partir de ta façon de t’exprimer que je vais raconter ton histoire à toi. C’est ça qui est super chouette.

C’est une grande preuve de confiance de pouvoir exprimer les souffrances, les traumatismes ou les contradictions des gens. Du coup la relation humaine a une place super importante dans ce projet et dans cet échange avec la personne.

Oui! Je ne me verrais pas vivre sans, j’ai vraiment été élevée avec des valeurs très humaines et j’ai besoin au quotidien qu’elles soient présentes.

Tu utilises les jeux de mots pour faire passer des messages et des émotions, tu utilises aussi pas mal les ratures pour révéler le sens des mots. Est-ce que tu as toujours aimé jouer avec les mots, est-ce que ça a toujours été un moyen d’expression pour toi?

Je sais qu’à un moment ça a pris une place importante. Pendant une année où j’étais en dépression, je ne discutais que par MSN avec un de mes meilleurs potes. On s’envoyait des punchlines, on essayait de se faire des battles. On était beaucoup trop fans du Klub des Loosers. Le rap a été autant une influence qu’une inspiration, même encore aujourd’hui.

Tu es très engagée sur l’égalité entre les genres, l’acceptation de soi et de son corps, contre les violences faites aux femmes. Comment tu fais pour réussir à concilier cet engagement citoyen et ces convictions avec ta pratique artistique?

A partir du moment où je suis dans mon shop, c’est assez facile. Je vois les gens pour leur personnalité et pas pour leur genre ou leur couleur de peau. C’est vraiment ça que j’aimerais mettre plus en avant. Et qu’il y ait moins d’amalgames aussi. C’est vraiment l’avantage dans mon espace: c’est que chacun vient, et il est safe, et il est bien. S’il y a un truc qui ne convient pas, je le dis dès le départ: si je fais ou je dis quelque chose qui ne te convient pas, il faut me le dire.

Je voudrais revenir sur le projet «Sois toi». Tu prônes l’acceptation de soi pour apprendre à se libérer aussi des injonctions faites aux femmes. Est-ce que tu peux nous expliquer en quoi ça consiste pour les gens qui ne connaissent pas ce projet, et comment ça a commencé?

C’est vraiment «sois toi» parce qu’à la base c’est «sois belle et tais toi» alors qu’il ne faut pas spécialement être belle, ni se taire. C’est pas un «sois toi et t’es belle» parce que la nécessité d’être beau ne doit pas être. La nécessité c’est d’être soi-même et c’est la part la plus compliquée dans la société actuelle. J’ai l’impression qu’il y a énormément d’hypocrisie pour que tout le monde soit apprécié sur les réseaux, et donc la majorité des gens ne sont vraiment plus eux-mêmes. Ils sont ce qu’on attend d’eux. Pour moi il y avait aussi cet aspect d’identité et de personnalité où c’est vraiment pas facile et où ça a été un combat pour moi. Le projet du «sois toi», c’était pour permettre aux gens de communiquer, de se rapprocher et en fait j’aime bien cette notion d’échange et d’ouverture d’esprit. Le but n’est pas de convaincre les autres, mais d’échanger, d’évoluer, de se remettre en question.

Est-ce que tu sais combien de fois tu ne l’as tatoué?

Non! Je ne le chiffre pas du tout.

Tu luttes aussi pour essayer de déconstruire les préjugés liés au genre, et ton pseudo en est une bonne illustration. T’avais tes flashs «féminin/féminine» et puis tu as aussi «garçon manqué, fille réussie». Pourquoi c’est important pour toi de parler de ça?

Parce que ça fait partie de notre corps, le mettre sur la peau pour moi c’est une évidence. Il y a toujours une relation entre notre corps et l’aspect de notre corps. C’est triste mais c’est comme ça, c’est la société. Je sais que moi j’ai eu beaucoup de mal, et même encore aujourd’hui je ne me reconnais pas dans le fait de classer le genre féminin, le genre masculin, le fait que les meufs on puisse porter des pantalons mais les mecs toujours pas de jupes. Cela me perturbe ce problème d’inégalités. Et justement toutes ces expressions de «garçon manqué» et bien non! «Il faut que tu sois plus féminine», «il faut que tu sois plus viril». J’ai vraiment du mal.

Tu es engagée aussi contre les violences faites aux femmes et t’as fait notamment un flash «le cœur bat, l’amour pas», que tu as décliné en t-shirt en collaboration avec The SIMONES. 1 euro est reversé à une association pour chaque vente. Est-ce que tu peux nous parler de ce projet ?

C’est le problème du patriarcat: il forme les hommes à être des sortes de mâles dominants qui vont essayer d’objectifier des êtres humains, où ils doivent tout maîtriser, tout posséder, tout contrôler, et ça fait vraiment du mal à tout le monde. Donc pour moi c’était une idée vraiment insupportable. Sachant que j’ai une super pote qui bosse pour le CVF (Collectif contre les violences familiales) de Liège et donc à la base moi «le coeur bat l’amour pas» je l’ai sorti pour cette association-là. Chaque fois que je le tatouais ou quand je vendais des prints, tout était reversé directement à cette association. Après mon déménagement à Nantes, je devais faire une collab avec The SIMONES, je me suis dit que c’était peut-être le moyen de le remettre en avant, sauf que cela va à d’autres associations parce qu’on est en France. Elles ne peuvent pas reverser l’argent à une association belge.

Est-ce que tu as des projets à venir?

L’état d’esprit c’est d’être hyper positif et de transmettre ça au maximum de gens parce que c’est ce dont on a le plus besoin. Et d’être un maximum solidaire. Il faut stimuler le cerveau en lui permettant d’être heureux. C’est l’objectif de mes tatouages: garder ses convictions et aider les gens à avancer dans le positif. @landrogynette