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Henrik - Interview

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Henrik - Interview

@pascalbagot

Malgré son emploi du temps surchargé, le tatoueur français Henrik, bien connu pour ses pièces spectaculaires grand format, a très gentiment accepté de poser ses machines le temps de répondre à cette interview pour les lecteurs d’Inkers. Interview fleuve.

Tu es un artiste assez discret, attaché à sa tranquillité mais aussi un travailleur acharné. J’imagine que la période de confinement a été plutôt positive pour toi, d’un point de vue créatif j’entends. Comment l’as-tu vécue ?

Oui c'est vrai, je suis assez attaché  à ma tranquillité. J'aime travailler dans un environnement calme, afin de pouvoir me concentrer sur mes projets. C’est vrai aussi que je ne m’expose pas du tout hors du cadre tattoo sur les réseaux sociaux, Le confinement a été pour moi, comme tout le monde, une période extrêmement étrange. C'était la première fois de ma vie que je faisais un aussi long Break au niveau professionnel. Cela m'a permis malgré tout de passer plus de temps à peindre, j'en ai profité pour faire une série de toiles. Cela m’a aussi motivé et donné envie de donner plus d’importance à la peinture dans ma carrière artistique.

Tu sembles y consacrer beaucoup d’énergie, quelle place occupe-t-elle aujourd’hui dans ta vie artistique?

C'est une activité qui nécessite beaucoup de temps et il n'est pas toujours facile de m’organiser afin de concilier mes autres activités (illustration, tatouage, différents projets en gestation de formations techniques et de livres que j’ai en tête depuis des années). Je travaille sur différents supports, aussi bien du numérique, que de la peinture traditionnelle. J'aime travailler différents médiums, que ce soit l'aquarelle l’huile ou l’acrylique. Je mixe parfois les différentes techniques. Il m'arrive de commencer un projet à l'acrylique pour, par la suite, revenir dessus avec de l’huile. En ce moment j'expérimente de nouvelles choses et je travaille le collage de matière. Je bosse sur des toiles sur lesquelles je rajoute différents éléments afin de créer plusieurs plans. Je suis pour le moment au stade expérimental mais les résultats sont très sympas, je pense m'attaquer très prochainement à différents projets en grand format.

De quelle façon te satisfait-elle?

La peinture est un moyen d'expression artistique qui n’a, de mon point de vue, ni code ni limite, cela permet de faire différentes tentatives, d'expérimenter, et de s'exprimer librement. Artistiquement, je trouve que c'est le médium qui donne le plus de liberté. Tu peux rajouter des textures des matériaux, tu peux couper tes couleurs avec du sable du papier du coton, tu peux modeler avec des enduits,  tu peux même sortir du cadre si tu es énervé ;)

Si je me souviens bien quand nous avions fait une première interview ensemble (il y a 14 ans!), c’est ta femme qui peignait.

Hé oui, 14 ans déjà, ça nous rajeunit pas ! Effectivement À l'époque c'est Vilay qui peignait. Elle se débrouillait d'ailleurs très bien. Elle a arrêté depuis quelques années pour se consacrer à la musique, mais elle envisage de s'y remettre. Je pense que dans un futur proche nous allons attaquer quelques projets ensembles.

La peinture t’a-t-elle aidée à te familiariser avec les grands formats, ceux-là même pour lesquels tu es reconnus dans le milieu du tatouage?

Non, travailler sur une toile et sur un corps humain sont des choses totalement différentes. Une toile est une surface plane délimitée par un cadre tandis que le corps humain est une surface complexe qui bouge et sans cadre. L'approche en terme de composition et de dynamique n'a absolument rien à voir. La composition en tatouage est beaucoup plus complexe et demande énormément de travail de recherche pour que  le projet fonctionne correctement.

Quels bénéfices tes tatouages tirent-ils de ta peinture?

Même si les règles et les contraintes sont différentes le tatouage reste un médium.  Autrement dit, quel que soit le support artistique et peu importe lequel, tu en tireras toujours quelque chose. Après, s’il faut chercher à faire un raccourci entre peinture et tatouage, je pense que l’aquarelle est de loin ce qui s’en rapproche le plus, en raison du travail par couches successives en transparence… et l’impossibilité de retour en arrière ;)

D’un point de vue stylistique, tu restes malgré tout plus proche des dessinateurs et des illustrateurs. Parle-nous de tes influences stp.

Merci, j'apprécie énormément la comparaison. Je me considère avant tout comme un illustrateur. J’ai l’extraordinaire chance de rencontrer des gens qui acceptent de me laisser m’exprimer comme je l’entends, et je leur en suis éternellement reconnaissant. Je m’intéresse à énormément d’artistes différents, dans des registres très variés. Je suis bien entendu quelques tatoueurs et j’apprécie le travail de nombreux confrères, mais je m’intéresse finalement plus aux peintres, aux dessinateurs ou aux graphic designer. Cela pour plusieurs raisons. D’abord parce que j’ai une vision généraliste de l’art visuel, j’essaye de ne pas me cloisonner au milieu du tattoo. Mais aussi parce que je trouve dangereux de trop s’imprégner de l’imagerie tattoo. Cela peut restreindre ton champ de vision á un seul et même cadre et en ce sens uniformiser le travail de chacun. Pour ce qui est des tatoueurs, j’apprécie énormément l’école ouest canadienne, Steeve Moore ou James Tex par exemple, qui sont pour moi avant tout d’exceptionnels illustrateurs. Je suis sensible aussi à l’approche néo-japonaise des artistes sud-coréens comme Hajin ou Gen. Et si l’on unit le monde du tatouage à celui de la peinture, bien évidemment mes amis Guil Zekri, Dimitri HK ou Julien Thibers, dans des registres très différents sont d’excellents peintres. J’aime beaucoup le travail d’un de mes clients qui s’appelle Clément Verdiere et j’encourage les lecteurs d’Inkers à regarder qu'il fait.

Les thématiques que tu abordes sont restées sensiblement les mêmes (asiatique, comic, custom, etc.) mais d’un point de vue technique, elles ont été enrichies par un travail sur le réalisme. Quel intérêt y as-tu trouvé ?

Je reste sur une ligne directrice définitivement asiatique, mais mon approche est très illustrative. Le réalisme m’intéresse peu en soi. J’ai essayé d’en faire á une époque, mais je trouve cela artistiquement castrateur. Une fois assimilé les techniques de base de construction, cela devient purement méthodique. Attention, je ne dénigre pas les artistes spécialisés dans ce domaine, et certains d’entre eux ont un impressionnant  bagage technique, mais personnellement je trouve cela créativement réducteur. En revanche, l’étude du réalisme, permet d’assimiler le travail des volumes, de la profondeur et de la lumière, et apprend énormément de choses sur la gestion des valeurs et de la couleur. Le réalisme ouvre les portes sur la compréhension des sujets en 3 dimensions, et permet d’aborder la phase de mise en lumière. Mon ami Kore Flatmo appelle ça l’aspect dramatique. Essayer de trouver une certaine justesse sans faire de reproduction est un exercice qui demande beaucoup de travail et de temps. C’est en ce qui me concerne, l’aspect que je trouve le plus intéressant dans la création.

Grand format en tatouage ne rime pas forcément avec plus de détails, pourquoi cette simplicité ?

Il y à une chose que j’ai appris avec les années, c’est que la simplicité est ce qu’il y a de plus difficile à maitriser. Lorsque j’ai commencé à vraiment travailler mes compositions, je voulais monter des cathédrales. J’entends par là que je recherchais à tout prix la complexité. Un jour, il y a de cela une bonne dizaine d’années, j’ai tatoué un musicien. Ce type était extrêmement intéressant. Il m’avait demandé de lui réaliser un projet avec des mains et des guitares et d’y incorporer le mot «  simplify » en m’expliquant qu’apprendre à simplifier était essentiel dans une démarche artistique. J’ai mis des années avant de comprendre ce qu’il voulait vraiment dire, mais aujourd’hui je suis convaincu qu’il avait raison. Cela m’a poussé à cultiver un certain paradoxe. Plus on me demande du grand format et plus j’essaye de simplifier la composition. Cela peut paraitre étrange, mais c’est finalement logique. Quand tu fais un backpiece, la clé c’est que le motif soit lisible à 15 mètres, mais il faut aussi qu’il y ait de la subtilité et du détail dans le travail de la lumière et du contraste au fur et à mesure que tu t’en rapproches. Travailler dans la complexité crée des interférences dans la lecture d’une composition, trop de détails tue le détail. L’oeil se perd et le cerveau a du mal à analyser ce qu’il regarde. C’est là que ça devient contre-productif. C’est donc dans cet état d’esprit que j’aborde maintenant tous mes projets.

Dans cette interview passée, tu disais : « L’essentiel, c’est le mouvement. Il faut que ça claque et que ça tourne avec le corps ». Es-tu toujours d’accord ?

Oui et non. La composition très dynamique est ultra efficace si elle est épurée, autrement dit, elle fonctionne si elle n’est pas parasitée par trop d’éléments extérieurs. En gros une énorme vague qui s’enroule sur le corps est ultra efficace, mais si tu y ajoutes un motif devant et un autre derrière, tu écrases complètement l’effet. Une fois de plus, ca fonctionne si ta composition est simple. Un mouvement tout en dynamique doit respirer. Si tu regardes le travail de Filip Leu, qui est reconnu de manière unanime, tu verras qu’il utilise souvent de grandes ouvertures et de grands mouvements dans ces arrière plans, et le rendu est sans appel.

Cette attention à la dynamique explique ces points de vue très particuliers adoptés pour les scènes de tes tatouages, ces jeux de volume qui donnent l’impression au spectateur d’être au coeur de l’action ?

Je pense que ce dont tu parles est plus lié á la profondeur qu’à la dynamique. J’entends par là que travailler de façon dynamique consiste à créer des mouvements qui s’enroulent sur le corps. Lorsque tu cherches à aborder une composition comme une scène (interaction entre deux personnages par exemple), tu recherches autre chose, la profondeur. C’est la perspective et/ou l’angle de vue qui vont influencer ta perception de ce que tu observes. Ce sont les méthodes qu’utilisent les cinéastes ou les dessinateurs de bande dessinée.

Pour certains tatoueurs, faire des pièces en one shot est satisfaisant, mais pas toi. Quel plaisir y prends-tu ?

J’aime travailler sur de grands formats, je dois le reconnaitre, mais je recommence á accepter des pièces un peu plus petites. Par contre je ne fais pas ou peu de motif en one shot. Je comprends que cela soit plaisant, de par le fait de réaliser un projet et de l’aboutir directement. Je préfère personnellement travailler sur plusieurs séances. D’une part par ce que cela permet de prendre du recul, et d’autre part parce que j’utilise de plus en plus des méthodes de travail. Je vais d’abord travailler mes volumes en noir et gris pour ensuite revenir dessus en couleur, et c’est extrêmement traumatisant pour la peau de travailler par layering (couches) successifs sur une seule séance. C’est réalisable, mais la cicatrisation peut être un peu… rock n roll.

Combien de temps passes-tu sur une grande pièce? Comme celle avec les champignons, assez dingue.

C’est totalement aléatoire. Tout dépend du motif. J’ai fait une dos-fesses couleur sur une cliente anglaise en 3 jours d’affilés, car la composition était grande et simple, et j’ai passé jusqu’á 6 séances sur des manchettes illustrations couleurs ultra détaillées. C’est donc difficile de répondre à cette question. Pour le projet de mon pote Ludo et de son Shiva, je ne sais plus exactement, mais je pense qu’il y a eu 6 séances.

Combien de grandes pièces as-tu actuellement en cours?

Mon agenda en temps normal est déjà bien rempli mais avec en plus les 3 fermetures successives dues au covid, le nombre de grandes pièces en cours est assez conséquent. C’est d’ailleurs pour cela que je ne poste pas tous les jours sur les réseaux sociaux (rires).

Tu as aujourd’hui le luxe de choisir tes projets, comment procèdes-tu ?

Je reçois toutes les nouvelles demandes de projet via un formulaire de contact qui est sur mon site internet. Je prends le temps de regarder toutes les demandes et je sélectionne celles qui m’inspirent le plus ou qui traitent de sujets que j’ai envie de travailler. Cela prend parfois du temps, et je remercie vraiment les gens pour leur patience, car je fais de très longues journées et j’ai peu de temps à y consacrer. Du coup il peut falloir attendre plusieurs longues semaines pour avoir une réponse... + www.henrik-tattoo.com instagram.com/henriktattoo facebook.com/Henrik.Tattoo