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Interview Stephane Candela

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INTERVIEW STEPHANE CANDELA

@pascalbagot

Un des charmes du milieu du tatouage c’est la grande diversité des parcours de ceux qui en ont fait leur métier. Certains plus que d’autres portent avec eux un parfum d’aventure et des histoires qu’on écouterait pendant des heures. Stéphane Candela est de ceux-là. A 48 ans, le Français originaire de Lyon, a déjà vécu plusieurs vies. Si aujourd’hui il se concentre avec passion sur un style new school et cartoon, il nous raconte comment tout cela a commencé, au Brésil, dans un climat étouffant et surchauffé, à la frontière de la Guyane des légionnaires.

Le tatouage arrive par hasard dans ta vie. Raconte-nous !

J’ai quitté la France à 20 ans et mon arrivée en Amérique du Sud a été un parcours assez imprévu. J’ai tout d’abord travaillé quelques années dans le milieu de l’orpaillage et, suite à une rencontre, j’ai acheté une bicoque en bois du coté brésilien, à la frontière avec la Guyane, pour une poignée de cerises! Cette bicoque était prévue pour faire tourner un restaurant… ce que je n’avais jamais fait de ma vie ! Mais j’étais jeune, j’avais 24 ans, et surtout j’étais très content d’avoir pu m’installer au Brésil. Donc, je n’ai pas trop réfléchi et je me suis mis au travail.

A quel moment passes-tu de la restauration au tatouage ?

J’ai connu assez rapidement mon épouse et nous avons partagé ensemble cette aventure. Mais, nous avons bien déchanté après quelques années, tant la quantité de travail était grande et en fin de compte peu plaisante ! Du coup, à l’aube de mes 30 ans, j’ai senti qu’il fallait que je prenne une décision pour que cela change. J’avais alors un ami, un ancien légionnaire qui passait ses journées à parler de tatouage ; il voulait commander du matos pour se mettre à la tache. Ce que nous avons fait, en fin de compte. C’est ainsi qu’avec l’aide d’amis tatoueurs brésiliens nous avons fait nos premiers pas dans le métier. Bien sur, le matériel était de piètre qualité et ce fut très laborieux !

Comment se passent ces premières années ?

Elles sont assez catastrophiques. Le manque de connaissance, l’absence de bon matériel, à l’époque on devait souder nos aiguilles nous mêmes, ce qui n’arrangeait pas les choses car des aiguilles mal soudées signifient un tatouage automatiquement raté ! Il m’a fallu attendre deux ans pour commencer à demander de l’argent en échange de mes prestations, avant je n’osais pas. J’ai même donné quelques billets à mes premiers cobayes, des mecs défonçés qui trainaient dans les rues. Ils étaient tout contents. J’ai aussi payé mes deux potes brésiliens tatoueurs au début - n’oublions pas que le Brésil est un pays pauvre et que le moindre billet fais bouger les choses ! Du coup au bout de deux ans j’ai gagné quelques roupies. Ca ne nourrissait en aucun cas la famille, mais je les mettais de coté et au bout d’un an j’ai pu me payer mon premier voyage aux USA!

Tu te sens alors prêt à devenir un vrai tatoueur « professionnel » ?

Oui. Je faisais des trucs simples au début et comme nous avions un camp de la légion juste en face, les clients ne manquaient pas ! Les séances à l’époque étaient assez laborieuses. Les légionnaires étaient friands de tribal et de style maori, ce que je pouvais gérer. Mais c’était en général des grandes pièces et moi j’avais du matos de merde ! Il faut s’imaginer une petite salle, faite en planche de bois avec des plaques de taule en guise de toit, deux ventilos, bouillante ! On était au niveau de l’équateur, 40 ° à l’ombre en saison sèche et 98 % d’humidité dans l’air. En plus de ça, ces pauvres légionnaires qui buvaient du vin rouge surchauffé ramené de Guyane, pissaient le sang et moi je dégoulinais des flaques de transpiration… Inutile de te dire que les fins de séance étaient difficiles. C’était littéralement l’enfer pour tout le monde !

Se lancer dans la discipline, difficile, c’est un pari osé quand on a une famille à nourrir. Dans quel état d’esprit es-tu?

Quand j’ai débuté j’étais toujours propriétaire de notre restau. On avait construit quelques piaules derrière pour en faire une petite auberge. Comme la main d’oeuvre au Brésil n’est pas chère, j’ai pu déléguer un peu le travail afin de me consacrer de plus en plus au tatouage ! L’état d’esprit dans lequel j’étais il y a 18 ans en arrière est toujours le même. Je remercie le ciel d’avoir eu la possibilité de connaitre ce métier. Même avec ses hauts et ses bas, nous faisons un métier merveilleux et encore aujourd’hui j’apprends plein de trucs tout en faisant de nouvelles rencontres passionnantes !

Quelle idée avais-tu du métier avant de te lancer dedans ?

A l’époque le tatouage était une issue de secours mais, avec les années, il a littéralement changé ma vie et donc celui de ma famille. En plus du coté passionnant, j’ai pu faire pas mal de voyages aux USA, me balader dans les conventions, apprendre des techniques plus avancées, rencontrer quelques maitres de l’époque et surtout prendre conscience du niveau. Car nous n’avions ni internet, ni portable pour prendre les photos de nos tattoos. Il fallait attendre que la pellicule de l’appareil photo soit pleine pour la faire développer !

Tu réalises qu'il faut se former au dessin, quelque chose de nouveau pour toi. Comment t’y prends-tu ?

Lorsque je me suis rendu compte qu’il allait falloir se mettre sérieusement au dessin si je voulais évoluer, autant te dire que ce fut un peu comme le reste : laborieux. Je n’avais pas d’internet et la seule source d’information qu’on avait était un kiosque à revue où l’on trouvait des magazines de tattoos et des BD type comics (Spiderman, etc.) qui me servaient de modèle pour comprendre comment fonctionnait l’anatomie humaine. J’ai gribouillé pendant des années des feuilles blanches en faisant un peu tout et n’importe quoi, et en espérant qu’un jour ça le ferait !!!

De quelle façon cette auto-formation oriente-t-elle la trajectoire de ton travail et ton style ?

Quand tu tattoo au Brésil, c’est simple : les Brésiliens voient tes capsules de couleurs et te disent qu’ils les veulent toutes. Grosso modo, ils te donnent une idée de leur tattoo et à toi ensuite de te débrouiller pour toutes les faire entrer dedans ! Autant te dire que tu ne t’ennuies pas avec eux. Du coup, cela m’a forcé à manger de la couleur et à composer avec. Dans ce contexte, le style newschool m’est apparu comme une évidence ! Le coté cartoon et délirant, sans limite, est superbe et l’explosion de couleurs au rendez vous. Que demander de plus ?!

Quelle est alors ta clientèle ? Comment cela se passe avec des Brésiliens qui veulent de la couleur sur une peau bronzée?

C’était assez folklorique. Pas de rendez vous, le brésilien touche sa paie et il faut le tatouer de suite, sinon, l’argent du tattoo disparaît dans la soirée au bar avec les collègues ! Du coup il faut être sur le qui vive et démarrer au quart de tour. Pas de temps pour la réflexion car il y a du monde et on commence par une négociation du prix assez tendue. Tout est prétexte pour le faire baisser. Vu le niveau de salaire, on comprend vite pourquoi ; c’est cependant assez fatiguant à la longue ! Pour la partie couleur des tattoos, effectivement, ils sont bien bronzés et la plupart du temps c’est peine perdu. Mais peu importe, il faut mettre de la couleur. Inutile de rajouter qu’il n’y aura pas d’argent pour les soins, pas de pommade, très peu d’entretien et un soleil de malade, alors je vous laisse imaginer ! Heureusement la gente féminine et plus attentionnée et on arrive à faire de jolies pièces !

Comment se déroulent ensuite tes plans ?

Avec nos deux enfants qui grandissaient, nous avons fait le constat que nous ne pouvions pas rester dans cette région du Brésil, extrêmement pauvre et très Far-West. Nous avons donc décidé de retourner en Guyane pour ouvrir un shop et se refaire ainsi une santé financière. Juste avant de partir, j’ai pu échangé une manchette contre une voiture pour arriver en Guyane motorisé… pas mal quand même !

A quoi ressemble l’arrivée en Guyane ?

Ma famille reste au Brésil la première année, le temps de m’installer à Cayenne et de faire tourner le shop. Des potes me logent gracieusement et m’avancent quelques roupies pour ouvrir la boutique. Et là, le choc. Je passe d’un pays à l’économie catastrophique, où je galère pour récupérer quelques réais, à l’économie française où les gens ont un pouvoir d’achat assez conséquent. Je me souviendrais toujours du premier tattoo que j’ai fait. Il était de bonne taille, un grand tribal sur le dos. J’avais dit au gars qu’il y en avait pour 800 euros, il me dit qu’il est OK. I part retirer les sous, je ne le crois pas et 15 mn plus tard il est de retour avec la somme en espèces. Je suis sur le cul !!! C’est simple, la fin de la première semaine j’avais étalé tous ces billets de 50 euros sur mon bureau, il y en avait de partout. J’ai appelé ma femme au Brésil et je lui ai dit que je pensais que nos problèmes financiers étaient terminés !

Les années suivantes se déroulent aussi bien?

Oui, elles sont à la hauteur de nos espérances. Il y a énormément de militaires à tatouer et les guyanais sont aussi au rendez vous. J’ai un agenda super chargé et je monte même le projet de nous installer aux States… qui vire au vinaigre finalement ! Bref. Le passage en Guyane est très cool, même si je n’ai pas vraiment fait connaissance avec d’autres tatoueurs. C’était un peu chasse gardé à l’époque et je n’étais pas forcement le bienvenu au début, mais rien de bien méchant ! Nous sommes restés finalement six ans. Ensuite, comme nous avions suffisamment d’argent nous sommes rentrés, pour nous installer dans le sud de la France où nous sommes depuis six ans. En repartant de zéro à chaque fois !

Tu as gardé des contacts avec le Brésil ?

Les tatoueurs du coin étaient devenus des amis. On se parle toujours via WhatsApp. C’est une superbe expérience, ils m’ont même fait faire connaissance avec une légende du tattoo brésilien de l’époque, Carlos Cabral (Instagram : @carloscabraltattoos), qui était originaire de chez nous, mais qui bossait à Sao Paulo avec les monstres. Il a voyagé partout dans le monde, connu Paul booth au USA. Il a vécu aussi en Espagne et en Irlande il me semble. Maintenant il ne travail plus beaucoup, mais à l’époque il était à la une de tous les magasines de tatouage !

Comment vis-tu la démocratisation du tattoo?

Personnellement, je pense qu’il y a eu énormément de bon à ce sujet là. La démocratisation a permis une évolution radicale du matériel, des artistes, des styles. Beaucoup se plaignent de l’ouverture de shops à droite ou à gauche qui leur ferait perdre des clients. Mais je trouve que la concurrence est plutôt un bon moyen de se prendre coup de pied dans le cul ! Combien de clients ai-je récupéré revenant d'autres shop qui avaient pignon sur rue et à qui on refusait de faire leur tattoo ?!

Où en es-tu avec le dessin aujourd’hui ? Quelles sont tes aspirations?

Depuis mon arrivée en Europe, je me suis inscrit à des formations sérieuses. Il était temps de rattraper le retard ! Comme je bosse toute l’année à plein temps, il est impossible pour moi de partir en école ou en stage. Du coup, la formation sur le net m’est apparue comme la plus accessible. Malheureusement, il y a encore quelques années on ne trouvait pas grand chose de sérieux. Mais j’avais repéré ce site internet, Schoolism, tenu pas Bobbi Chiu, une école online ayant pour objectif de former les futurs dessinateurs de cartoons à Hollywood. En échange de quelques dollars, tu as la possibilité de prendre des cours avec l’élite du cinéma d’animation hollywooodien ! Des stages de 3 mois avec des feedbacks chaque semaine sur tes dessins. J’ai appris énormément. Mais ce fut très dur. Les premières années, j’étais debout à 3h du mat avec des cours jusqu’à 8 h avant ensuite d’emmener les gosses à l’école et d’ouvrir le shop pour bosser toute la journée à un bon rythme. Car la vie en France coûte chère, comme vous le savez ! Autant dire épuisant !!!

On voit d’ailleurs plus de dessin aujourd’hui que de tatouage sur ton compte Instagram. Comment se réparti ton temps entre ces activités?

On ne change pas une équipe qui gagne. Je suis toujours debout très tôt. Je me lève à 4H30 du mat et je dessine jusqu’à 9 h. Je passe ensuite le reste de la journée au shop à tatouer, bien sur. Il y a cependant un hic dans l’histoire de toutes ces formations. Elles sont plus orientées vers le dessin d’animation que sur le tatouage et, avec les années, je dois avouer que je me suis un peu perdu. Donc si aujourd’hui le dessin est plus présent, c’est dû au fait que j’ai mis la priorité sur mes formations… Et il y a encore tellement à apprendre !!! J’espère qu‘un jour néanmoins j’arriverai enfin à mettre toutes ces années d’apprentissage au service du tatouage dans un style cartoon. C’est mon but !!!! Une anecdote du Brésil me revient. Pour apprendre à me débrouiller avec mes dessins, je m’étais mis à vendre sur commande aux légionnaires et touristes des cranes de buffle ( que je récupérais à la décharge et qui passaient plusieurs semaines au fond du fleuve) avec une peinture de leur choix dessus. On me demandais tout et n’importe quoi, ça me permettait de peindre d’apprendre a jouer avec les couleurs et gagner 3 ronds 4 sous ! D’ou le nom ART SKULL ( l’art des crânes au lieu de l’école d’art ( ART SCHOOL )) petit jeu de mot qui est devenu ART SKULL TATTOO !

Vers quels tatoueurs ou dessinateurs regardes-tu aujourd'hui ?

En ce qui concerne mes inspirations, elles son très variés. Ca va du jeu vidéo (Nicolas Saviori, Max Grecke, Catell Ruz), à l’illustration (Laurent Durieux, Sandro Cleuzo), au tatouage ( Jamie Ris, Victor Chill, Starabroda, Dimitri HK) et bien sûr le cinéma (Stephen Silver, Woulter Tulp, Sam Nielson, Bobby Chiu).

Tu as un apprenti depuis quelques temps, Gaston. Transmettre c’était quelque chose dont tu avais envie ?

Gaston est arrivé au shop en sachant déjà tatouer, je lui ai juste apporté la ligne à suivre question dessin. J’étais seul au shop et à plein temps. J’avais envie de bosser avec du monde, raz le bol de cette solitude. Du coup, nous avons fais connaissance et nous nous complétons. Il fait pas mal de conventions, il m’apporte beaucoup sur les nouveautés techniques, question matos mais aussi techniques de tatouage, car il a déjà pas mal roulé sa bosse dans plusieurs shops. Bref du sang neuf, ça fait du bien !

Apprentissage, alternance, as-tu un point de vue sur la question de la formation des futurs tatoueurs?

Chaque apprenti tatoueur a une affinité et devrait être formé en fonction. L’activité de tatouage est devenue tellement grande qu’il est dur de savoir comment former un bon tatoueur. A quel style est-il destiné ? Peu importe le type d’apprentissage en fin de compte. Ce qui est surtout important c’est le chemin que le tatoueur en formation a envie de prendre. Et de se former en fonction ! + Art Skull Tattoo 54, av. de la République 83210 La Farlède IG : @artskulltattoo