Inkers MAGAZINE - Bougne

>MAGAZINE>Portraits>Bougne

Bougne

Partager

INTERVIEW BOUGNE

@pascalbagot

Elevé sous le soleil sur la côte basque, Bougne plonge dans le tattoo après un premier passage décisif sous les aiguilles. Mordu, le Bayonnais réalise que le métier de tatoueur est l’opportunité pour lui de professionnaliser son dessin. Vingt ans plus tard, c’est dorénavant dans sa ville natale que Bougne affine un savoir-faire et une polyvalence au fort accent newschool.

Peux-tu me parler un peu de toi stp?

Je m'appelle Nicolas Bouney, mais certains préfèrent m'appeler Bougne. J'ai 45 ans. Je suis né à Bayonne et j'ai grandi à Anglet, au bord de l'Océan. J'ai travaillé dans plusieurs boutiques au cours des dix premières années de ma carrière puis en 2011, avec ma femme, nous avons décidé d'ouvrir Black Mirror à Bayonne.

Lequel de ces deux médiums vient en premier dans ton parcours, le tatouage ou le dessin ?

Le dessin, bien sûr ! Rien d'original, cependant. Comme tous les gosses j'ai commencé à dessiner dès qu'on m'a mis un crayon entre les mains. C'est vite devenu un jeu, un passe-temps, un moyen de créer mes propres univers. J'en ai bouffé des rames de papier et des feutres ! Enfant, je voulais être dessinateur de bande dessinée. Ce n'est pourtant pas la voie que j'ai suivie plus tard.

Le tatouage arrive de quelle façon dans ton parcours?

Comme j'ai grandi sur la côte, inévitablement j'en ai vu passé du tatouage sur la plage. Les surfeurs étrangers arboraient toutes sortes de tattoos, des souvenirs de surf-trip ou autres... Puis il y a eu le skate, les influences musicales à l’adolescence et j'imagine que, petit à petit, tout cela a fait son chemin dans ma tête. Jusqu'au jour où j'ai eu l'occasion de passer à l'acte. Profitant d'un séjour en Espagne, je me suis fait encré par Dan, un tatoueur français qui officiait à l'époque Calle San Nicolas à Valladolid ! Je m'en souviens comme si c'était hier. J’étais plus motivé par l'expérience que par le choix du motif. Ça m'a explosé à la tronche. Dès le premier coup d'aiguille, j'ai su que j'en voudrai d'autres !

Comment as-tu décidé d’en faire ton métier?

Ce fut un concours de circonstances j’ai envie de dire ! A l’origine j'étais parti à Toulouse apprendre le métier de prothésiste dentaire. Mais une fois le CAP en poche, j'ai décroché au bout d'un an et demi. J'ai ensuite tenté ma chance dans une école d'art plastique afin de voir si je pouvais faire quelque chose avec le dessin. Durant cette année, un pote m’a offert une bécane, une vieille Spaulding avec une alimentation et quelques bricoles qu'il avait récupérées, pensant que j'en ferais bon usage. Mais je ne savais pas comment cela fonctionnait en vérité et, conscient qu'il me manquait quelques notions, je l’ai laissée dans sa boite. De retour sur la côte, en 2001, il a fallu trouver du boulot. En regardant les petites annonces, je suis tombé sur une offre d’emploi dans une boutique de piercing. Je n'ai pas eu le job mais j’ai sympathisé avec David, le boss, qui venait d'arriver dans la région. Je lui ai avoué qu’en fait, cela me brancherait bien plus d'apprendre le tatouage que le piercing. Sur ce, il m’a rencardé avec Riton -alias Henri Buro- qui travaillait à Biarritz à l’époque et c’est avec lui que j’ai commencé mon apprentissage.

Que s’est-il passé ensuite ?

Riton m'a appris les rudiments du métier, comme souder les aiguilles, etc. Mais le salon ne lui appartenait pas et ça n'a pas accroché avec la propriétaire. J’ai quitté la boutique et David (qui m'avait présenté Riton) m’a proposé de travailler pour lui. Je faisais la saison d'été à Mimizan et le reste de l'année à Pau, avec mon pote Antoine Paul (maintenant chez Dark Lines tattoo club en Belgique) ; il était piercer à l'époque. J’ai bossé un peu chez Carlo à Troyes avant une petite période de remise en question où je me suis arrêté de tatouer. Puis Antoine m’a proposé de rejoindre Dimitri (le Belge!) à Dublin. Je n'y suis pas resté longtemps, quelques mois seulement, mais l'expérience a été intense ! Peu de temps après mon retour d'Irlande, Caro, qui tenait Urban Primitive à Anglet, m’a proposé de travailler avec elle. J'y suis resté quatre ans avant d'ouvrir Black Mirror à Bayonne.

Tu as toujours fait du newschool?

J'ai toujours fait un peu de tout, sans influences particulières au début. Je voulais tatouer! Peu importait le style et, malheureusement ce n'était pas toujours réussi. Mais ce que j'ai toujours aimé dessiner avait déjà un avant-goût de newschool. La BD, les dessins animés, la culture surf des années 80-90's avec ses designs cartoons, comme ceux de Jim Pillips, le skate, les jeux vidéo, les graffitis... voilà les images que j'aimais reproduire.

Quel plaisir prends-tu à t’y consacrer ?

J'aime l'éventail de possibilités offert par le cartoon. Il n'y a pas de limite, pas de règle, on peut tout inventer, tout mélanger. En somme, on est libre de créer. Ce que j'aime par dessus tout dans ce style, c'est recomposer le volume du sujet, en exagérant certaines proportions pour le rendre plus fun, plus vivant et, si possible, unique grâce à l’interprétation personnelle que j’en fais – bien que certains thèmes reviennent plus que d’autres.

Je perçois dans tes lettres une influence graffiti, je me trompe?

J'ai découvert le graffiti en même temps que la culture Hip Hop vers la fin des années 1980. J'ai tout de suite aimé la forme des lettres en 3D, les personnages délirants aux proportions démesurées, les couleurs ... Cela avait un petit coté cartoon. Et à l'époque où j'ai vécu à Toulouse, il y avait une grosse scène graffiti, notamment avec la Truskool. Du centre ville aux usines désaffectées, en passant par les skateparks, j'évoluais dans un environnement très animé par le street art. Contrairement à ce que l'on pourrait imaginer, je n'ai fait que l’admirer durant toutes ces années ; je n'ai jamais pris le temps d'apprendre à peindre. Mais les images sont là, bien "ancrées" dans ma tête.

Beaucoup de tes motifs appartiennent à la culture populaire: super-héros, jeux video, films, etc. Cela définit ton univers graphique ?

C'est avant tout la demande du client qui lance l'idée du motif et les différents thèmes issus de la culture "pop" ou "geek" se traduisent parfaitement en newschool. Ceci étant dit, étant moi-même de la génération des premiers dessins animés télévisés, des premiers jeux vidéo, j'ai baigné très tôt dans cette culture "pop". Ce sont des thèmes que je connais. Et comme je n'ai pas grandi, la base est là !

Plutôt BD, anime ou ukiyo-e ?

Les rendus que l'on observe aujourd’hui dans l’animation sont complétement dingues, j'adore. Et la BD est toujours présente dans ma vie, même si je n'y accorde plus autant le temps que je voudrais ! Quand aux estampes et à la culture japonaise, je n'y connais pas grand chose. J'ai des images en têtes, mais pas l'historique. Je commence, en fait, tout juste à m'y intéresser. C'est un univers fascinant que je regarde de loin depuis longtemps. Les sources d'inspiration y sont nombreuses et en faire des versions newschool me tente de plus en plus.

Tu fais aussi, très bien d'ailleurs, un peu de réalisme. Le tatoueur Espagnol Ben Banzaï nous disait dernièrement qu’en comparaison, le newschool avait moins la cote et c’était même pour cette raison qu’il s’y était mis. Est-ce le cas pour toi?

Le newschool est effectivement peut-être un peu moins vendeur, c’est selon la tendance. Il est vrai par ailleurs que le réalisme reste un style intemporel, il revient plus souvent. Il séduit une clientèle sans doute moins attirée par l’idée de porter un motif aux allures enfantines et colorées. Certains connaissent mon travail par mes réalisations newschool mais nous sommes dans une petite ville et je suis tatoueur. Je m'adapte donc à la demande, quels que soient les thèmes et les styles. Dans tous les cas, merci pour le compliment !

Quels artistes et tatoueurs regardes-tu et pourquoi?

Je ne regarde pas plus un artiste qu'un autre. Bien sur, j'admire un grand nombre de tatoueurs newschool tels que Dimitri HK, Logan (Barracuda), Jamie Ris, Tom Strom ... pour ne citer qu'eux. Il y a tellement de gens talentueux. J'observe toutes sortes d'oeuvres et pas que dans le domaine du tatouage. J'en découvre tous les jours et certains mettent la barre tellement haute techniquement que cela me donne toujours la même envie de progresser, de faire mieux.

Tu faisais pas mal de conventions avant la Covid, comment vis-tu cette interruption?

Bien et mal à la fois !!!! C'est toujours pénible quand on vient chambouler tes habitudes et je dois dire que, professionnellement, j'ai l'impression d'être au ralenti depuis deux ans. J’ai l’impression d'avoir perdu de vue certaines personnes, de moins vivre "tattoo" au quotidien. C'est une période étrange… Je la vis comme un mauvais scénario de SF des années 60 auquel je n'avais pas du tout envie de participer. Personnellement, j'aurais préféré une invasion extraterrestre. Le gros point positif, et qui n'a pas de prix, c'est que nous profitons beaucoup plus de notre vie de famille. Cela me fait penser malgré tout que je ferai probablement beaucoup moins de conventions à l'avenir. + Instagram : @bougne Black Mirror 7, rue Pannecau 64 100 Bayonne @blackmirrortattoobayonne