Entre onirisme et mysticisme, Monika Malewska, jeune tatoueuse polonaise, développe un univers fascinant. Centré sur la nature et ramené en partie de ses expériences psychédéliques, elle le donne à voir sous la forme de Saisissantes pièces monochromes surréalistes. A tout juste 30 ans, elle montre ainsi qu’elle est déjà une artiste aux vastes horizons créatifs alimentée, comme l'illustre cette interview fleuve, par une puissante énergie créatrice.
Bonjour Monika, pourrais-tu te présenter à tous ceux qui ne te connaissent pas ?
C'est toujours un peu étrange de parler de moi. Eh bien, je suis une rêveuse avec un besoin constant de croissance et d'expérience. J'ai eu 30 ans l'année dernière, ce qui m'a rendu étonnamment très heureuse. Actuellement, je vis à Katowice, en Pologne, mais j'étire lentement mes ailes avant le prochain envol. J'ai grandi dans l'est du pays avant de déménager dans le sud une fois trouvé du travail dans un studio de tatouage. J’ai commencé à tatouer en décembre 2014, dans un appartement où je vivais à l'époque et j'ai continué pendant huit mois. Ma vie change beaucoup mais j'accepte pleinement sa dynamique. Au quotidien j'essaie d'être la plus ancrée possible afin de garder au calme l'œil du cyclone.
As-tu suivi une formation artistique ?
J'ai obtenu un diplôme d'architecture et d'urbanisme à l'Université de technologie, une aventure de cinq ans. J’ai commencé à tatouer pendant la dernière année après avoir pris la décision folle de devenir tatoueuse et d'y consacrer toute ma vie. Mes débuts ont pourtant été relativement ordinaires. C’est en accompagnant une amie chez le tatoueur que j'ai été immédiatement fascinée par ce que je voyais. J'ai trouvé cela extrêmement intéressant et pris mon propre rendez-vous le jour même. Je n'avais pourtant aucune idée de ce que j’allais mettre sur ma peau, je savais juste que je voulais revenir.
Ce premier tatouage a donc été ta porte d’entrée dans le milieu.
Le monde du tatouage est devenu mon principal intérêt. J'en étais fou. Mais c’est à ma première convention que j’ai réalisé que c'était ce que je voulais faire. J'ai été enthousiasmé par la somme des libertés réunie en un seul endroit. Deux ans se sont écoulés entre le moment de ce premier tatouage et celui où j'ai commencé à tatouer. J'ai beaucoup dessiné, appris à penser comme un créateur, ce qui était nouveau pour moi. À l'époque, il y a sept ans, je vivais dans l'est du pays et le réalisme était le style populaire. Il n'y avait que quelques studios, peut-être deux ou trois, avec des gens qui savaient ce qu'ils faisaient mais très peu d'artistes produisant leurs propres dessins originaux. Je savais déjà que je ne voulais pas me cantonner à faire n'importe quoi. Je voulais tatouer mes propres dessins. Et pour cela, il me fallait trouver un très bon studio où travailler. Je ne me souciais pas vraiment de la ville, je savais que bougerais si j’étais amenée à le faire. Mon objectif était clair, je voulais juste apprendre. C'est ainsi que j'ai atterri à Katowice, ville en Pologne où la scène du dotwork était la plus forte à l'époque et où se trouvaient beaucoup de grands tatoueurs, en ville et dans les environs. Il s'est avéré que c'était l’endroit idéal pour moi. Pour évoluer en tant que tatoueuse mais aussi en tant que personne.
Étoiles, planètes, cosmos, divinités et forces surnaturelles constituent ton univers, que l’on pourrait qualifier de psychédélique. Es-tu d’accord ?
J'aime penser à mon art comme une combinaison d'onirisme et de mysticisme plutôt que simplement psychédélique. Le monde des psychédéliques, sous les différentes formes qu'il peut être expérimenté, a cependant beaucoup influencé mon travail artistique et m'a montré différentes manières de créer. J'ai toujours cherché des choses non ordinaires dans la vie et, avec le temps, j'ai réalisé que je voulais aussi créer ainsi. J’ai particulièrement expérimenté à une époque et cela m'a aidé à voir le monde à travers des lentilles moins conventionnelles. Mais la plupart de mes inspirations remontent à mon enfance. Mon premier coup de foudre artistique est une œuvre de Salvador Dali. J'ai toujours été impressionné par son imagination et sa façon de voir le monde. Je porte aussi un grand intérêt au monde mystique des rituels et des croyances.
A la spiritualité ?
Oui, c'est quelque chose qui m'anime depuis ma petite enfance, à l'époque où j'assistais à différentes cérémonies catholiques. L'église était pour moi une combinaison de galerie d'art, de musée et de théâtre (j'ai grandi dans un petit village et il n'y avait ni installations ni événements culturels). Je connaissais chaque peinture et sculpture par cœur. Les rituels, les chœurs, les orgues, les cloches, les lumières, la fumée – tout cela a pratiquement créé mon sens de l'esthétique et je pense que cela se voit dans mon travail. Et puis, nous avons un cosmos. Pour moi, c'est une combinaison parfaite de psychédélisme, d'onirisme et de mysticisme. Nous pouvons voir de nos propres yeux des dieux anciens, juste au-dessus de nos têtes, ceux-là qui ont un impact sur notre vie quotidienne. Cette fascination remonte également à ma petite enfance. J'étais à la fois fascinée et effrayée par le cosmos infini. Enfant, je pouvais fixer le ciel nocturne pendant des heures (ce qui paraît fou quand on vit si loin de la ville) mais en même temps pleurer de peur des nuits entières, effrayée qu'un jour le trou noir aspire notre planète et que nous mourrions tous ! Quoi qu’il en soit, je n'y trouve que de la perfection. Il a toujours fait partie de ma vie et mon intérêt pour lui s’est toujours renouvelé. C'est pourquoi j'en ai fait l'un des principaux motifs de mon art.
La nature, peux-tu nous parler du lien que tu entretiens avec elle ?
Oh, j'appartiens à la nature. Comme je l'ai dit, j'ai grandi dans un petit village, dans la région la plus rurale du pays, près de la frontière avec la Biélorussie. Des maisons construites le long d'une route, entourées de champs, un horizon fermé de tous côtés par la forêt, voilà le cadre dans lequel s’est constitué mon univers pendant les premières années de ma vie. Quand j'ai grandi je l'ai fui en quelque sorte. Pendant un temps, j'ai pensé que je voulais vivre dans une ville pour toujours, avec toutes les possibilités qu'elle m'offrait. C'était une période nécessaire qui m'a conduit là où je suis maintenant, et j'en suis reconnaissant mais, avec le temps qui passe, j'ai l'impression qu'il n'y a pas assez d'air pour tout le monde dans les cités. Malgré leur taille, tout semble si petit, encombré et restreint. Selon moi, la vie est un voyage et je ne sais pas où ma route me mènera mais je suis sûre que sa direction est loin des grandes villes. J'aime passer du temps à l'extérieur et désormais, tous mes objectifs sont associés à cette proximité avec la nature.
Parmi les très belles pièces surréalistes que tu as faites, une m’a beaucoup intriguée, celle avec des femmes dont les têtes ont la forme de champignons. Peux-tu nous en parler ?
C'est l'une des plus récentes et je suis très heureux de la façon dont cette pièce a évolué. Mon client, Michał, qui a déjà une pièce de moi sur le buste (nous allons bientôt commencer une manche) voulait faire un dos complet. Son idée originale était un escargot psychédélique avec des éléments de forêt. Nous en avons discuté et il a fini par me dire que je pouvais faire ce que je voulais. Il fallait cependant que ce soit en rapport avec la forêt, psychédélique et qu’il n’y ait pas de visage. Les fées champignons me sont venues à l'esprit. J'avais déjà fait ce genre de motif auparavant dans des petits tatouages, et je voulais vraiment le faire en grand. Heureusement, Michał a accepté. Les champignons ambulants sont un motif assez populaire dans l'art psychédélique, j'ai simplement essayé d'en traduire ma propre vision. Il existe un alter-monde dans ma tête, avec des personnages et leurs éléments vivant dans leur propre espace monochromatique. C'est à ça que ça ressemble. Des choses bizarres y vivent ! Il a fallu huit séances pour le faire.
Tu viens de parler d’espace monochromatique et ton travail est essentiellement en noir & blanc. Pourquoi ?
Je crée de cette façon depuis toujours. J'ai eu mes petites expériences avec la couleur mais le crayon a toujours été mon outil numéro un et donc tatouer en noir c’était naturel pour moi. J'aime la vibration qui accompagne l'art monochromatique, c'est automatiquement mystérieux et parfois un peu dérangeant. Comme dans le cinéma noir. C'est pourquoi j'accepte pleinement le fait que beaucoup de gens perçoivent mes œuvres comme "sombres", même si je ne les vois pas de cette façon. Pour moi, c'est simplement mystique. De plus, comme je l'ai déjà dit, je considère mon travail comme onirique et surréaliste plutôt que strictement psychédélique et j'aime l'ambiance que donne l'utilisation du noir et blanc.
L'art psychédélique a accompagné dans les années 1960 un changement des mentalités. Aujourd'hui, alors que la préoccupation écologique est plus nécessaire que jamais, ce message fait-il sens dans ton art ?
J'espère qu'il a du sens. Je crois que nous sommes tous divins et que nous faisons partie de la nature. Il y a eu une période de ma vie où j'étais loin de mes racines, un peu aveuglée par la vie moderne et différents traumatismes, sans la moindre réflexion sur le monde dans lequel je vivais et le rôle que j'y jouais. Les expériences psychédéliques ont amorcé un changement mental de ce point de vue. A ce propos, je tiens à préciser que je n'en fais pas la publicité et que je ne les recommande pas. Tous ceux qui veulent essayer doivent se rappeler qu'il ne s'agit pas d'un remède magique, ce n’est pas plus une baguette magique qui transforme tout en arc-en-ciel et fait disparaître nos problèmes. Les psychédéliques ont beaucoup de pouvoir et doivent être abordés avec humilité. Ils peuvent nous montrer les meilleures choses quand ils sont utilisés avec respect. Mais ils peuvent aussi nous faire vivre le pire s'ils sont utilisés de manière imprudente.
Peux-tu nous en dire plus sur ces expériences psychédéliques auxquelles tu fais référence ?
Je considère que l'expérience d'état modifié de conscience est quelque chose de très précieux pour notre développement. Je suis fasciné par les capacités cognitives de l'esprit humain. Non seulement ce que nous pouvons savoir avec nos sens, mais aussi ce qui est inaccessible à la plupart d'entre nous au quotidien. Il y a donc eu une période de ma vie où j'ai expérimenté assez intensivement les psychédéliques, principalement le lsd, les champignons et le changa. Mais mon attitude envers les psychédéliques est, et a toujours été, très mitigée et cela est dû à mes expériences ainsi qu'à celles de mes proches. Dans mon cas, je l'admets, certaines ont été inutiles. Mais d’autres ont bouleversé ma perception du monde et de moi-même dans ce monde. Elles ont été les graines du processus qui se poursuit jusqu'à ce jour, de ma croissance comme être humain, comme femme et comme artiste. Ce furent de beaux moments et de mauvais voyages. C'est pourquoi j'ai beaucoup de gratitude et de respect pour ces substances. Cependant, une autre expérience extrêmement intense pour moi a été l'hypnose. Elle a atteint des couches vraiment profondes de mon subconscient et a eu un grand impact sur ma vie. Un état semblable à une méditation très profonde, à la frontière entre le rêve et la réalité, en suspension entre le corps et l'âme.
La femme est un sujet central dans ton travail, il semble que tu aimes explorer son caractère divin et mythologique ?
Je suis une grande admiratrice de tout ce qui est féminin. Plonger dans ce sujet fait également partie de mon voyage personnel pour apprendre à connaître ma propre féminité. Beaucoup de mes créations sont en quelque sorte des autoportraits ayant une valeur thérapeutique. Plonger dans le sujet m'aide à organiser mes pensées et mes sentiments. J'ai eu des relations difficiles avec les femmes pendant la plus grande partie de ma vie et découvrir la divinité, cultiver un cercle féminin, embrasser son énergie est un processus qui se déroule dans ma vie et dans mon art. Ce que je crée est la façon dont je perçois la vie autour de moi et la place que j’y occupe. C'est pourquoi mon travail est devenu plus calme et surréaliste avec le temps.
Tes représentations me font penser à l'Art nouveau et aux oeuvres de l'illustrateur tchèque Alphonse Mucha en particulier, lesquelles étaient imprégnées de culture slave. Te reconnais-tu dans son travail ?
Oh Alphonse Mucha est l'un de mes artistes préférés depuis toujours. Vous pouvez sentir en regardant son art à quel point il était profondément lié à ses racines. J'ai aussi beaucoup de respect et d'appréciation pour une culture qui poussait autrefois sur la terre où je vis actuellement. Les païens slaves, leurs croyances, leurs rituels, leurs dieux - tout cela m'inspire beaucoup. Surtout les figures féminines existant dans un monde plus mystique, issues de la culture slave, comme les sorcières, les chuchoteuses, les guérisseuses, les herboristes. J'aime à penser que j'étais l'une d'entre elles dans certaines de mes vies antérieures. Je les admire, pour leurs connaissances, leurs règles non ordinaires, leur force qui les ont souvent amenées à vivre comme des parias mais en accord avec leur nature, en connexion profonde avec un monde invisible des gens ordinaires. Ce qui est magique c’est que l'on peut encore trouver des chuchoteuses dans de nombreux petits villages de Pologne, notamment dans la région où j'ai grandi. La chuchoteuse est une guérisseuse populaire qui chuchote des prières tout en faisant des rituels autour de la personne malade.
D’autres artistes ont-ils eu une influence particulière sur toi ?
Oui, à l'époque où je ne savais même pas que je lierais mon avenir à la création artistique : Stanisław Wyspiański, Maxfield Parrish, Salvador Dali, Erté, Edward Roger Hughes, Ephriam Moses Lilien. Je pense que nous avons tous partagé un morceau de sensibilité commune. J'aime étudier leurs œuvres à la recherche de symboles et de significations, mais aussi analyser les aspects techniques comme la composition, la lumière, les détails ou les solutions astucieuses qui rendent leurs styles uniques. Pour moi, l'inspiration est une stimulation de la pensée créative. Nous pouvons apprendre beaucoup en étudiant les maîtres.
Dans le milieu du tatouage, quels tatoueurs regardes-tu en particulier ?
Les tatoueurs que j’aime le plus sont Gakkin, Lus Lips, Markus Lenhard, Shige et le seul et unique Guy Le. Mon plus grand rêve de tatouage est de me faire faire un dos entier par lui. Alors, quand vous me verrez aller au Mexique, vous saurez pourquoi. Dans le monde du tatouage, je suis surtout influencé par les artistes qui travaillent sur des pièces de grande taille - et ce ne sont que quelques-uns de mes préférés. Mais tout l'univers du tatouage traditionnel japonais, de la biomécanique et des tatouages tribaux mérite qu'on y prête attention. Ils sont intemporels, comprennent le corps et accompagnent son mouvement. Comprendre ces règles de base m'a beaucoup aidé à créer mes propres motifs et cela a eu une grande influence sur ce que je fais. Mon objectif est de travailler presque exclusivement sur de grandes pièces.
La religion chrétienne est forte en Pologne, y a-t-il une collusion entre la religion et le tatouage ?
Eh bien, la religion est forte selon les statistiques, mais dans la vie réelle, je dirais que la moitié de la population seulement est vraiment liée au christianisme. Le reste est loin de l'église, ayant ses propres croyances ou ne croyant pas du tout. Les proportions sont différentes selon les régions, bien sûr. Y a-t-il une collusion ? Je pense que cela dépend des personnes. C'est comme partout. Il y a des chrétiens qui se font tatouer, il y a des non-croyants qui ne les aiment pas. Tout dépend vraiment si quelqu'un est capable de se faire sa propre opinion ou s'il croit aveuglément à des interprétations étirées des principes de la foi. Pour moi, la religion est une créature très désordonnée qui essaie de se glisser dans tous les aspects de notre vie, alors j'essaie de m'en tenir aussi loin que possible. Ces dernières années cependant, beaucoup de croyants se sont éloignés de l'institution à cause de ce qui se passe en Pologne. La situation politique est en train de franchir les limites de l'absurde et le parti au pouvoir tente de nous faire remonter le temps. Retour à un état de pouvoir autocratique, patriarcal, nationaliste et homophobe. Je ne veux pas m'attarder sur ce sujet, mais en tant que jeune vivant dans un pays qui connaît de tels changements, je ne peux que dire que ce qui se passe actuellement est choquant. + Instagram : @monika_malewska