Entre illustration et gravure, l’œuvre au noir du Mexicain Mishla possède une force expressive qui ne laisse pas indifférent. Hypnotique même pour peu que l’on se laisse porter par les formes étranges des dessins tatoués sur les corps ainsi que par la mélancolie ou les sentiments troubles qui s’en dégagent. Depuis peu installé en Angleterre, le tatoueur de 35 ans nous parle de son univers à forte stimulation créative.
Hello Mishla, d’où viens-tu ?
Je m'appelle Ignacio Lassalle, mais dans le monde du tatouage je suis connu sous le nom de ‘'Mishla''. Je suis né au Mexique, à Mérida, mais j'ai grandi à Málaga dans le sud de l'Espagne. J’ai grandi à la campagne, dans un environnement entouré d’animaux et de plantes, bénéficiant de beaucoup de liberté aussi. J'ai toujours dessiné, pratiquement depuis que j'ai appris à tenir un crayon. Ma mère et mes sœurs ont toujours eu une sensibilité artistique très développée, un facteur qui a grandement contribué à mon développement créatif. Mon père étant charpentier, j’ai donc été élevé dans les valeurs de l’artisanat et du travail fait à la main.
Comment se produit ton propre éveil artistique?
J'ai quitté l'école alors que j'étais assez jeune, j'avais 16/17 ans. À ce moment-là, je me suis senti attiré par la scène punk, les squats et les raves, dans lesquels j'ai passé les années suivantes. J’ai été profondément marqué par cette période de ma vie. Bien qu’ayant presque totalement abandonné la pratique du dessin elle a influencé l'esthétique de mes œuvres à venir. Elle a aussi défini la façon dont je souhaitais les aborder: chercher la provocation, créer des réactions avec des images stridentes, très contrastées et chargées de noir. Naturellement, j’ai commencé à m'initier au monde de l'auto-édition, des fanzines, à la sérigraphie et à d'autres moyens d’expression artistique, hors du domaine grand public. Trouver les moyens de créer ses propres œuvres, cela m'a toujours beaucoup attiré.
Que se passe-t-il ensuite?
Après toutes ces années très actives, riches en expériences, et après avoir travaillé dans plein des jobs différents, j'ai ressenti le besoin de reprendre le dessin. Du coup, à 26 ans j'ai commencé à étudier l'illustration à la Escola Joso à Barcelone - une école privée de dessin centrée sur l'illustration et la création de BD. Je n’y suis en fin de compte resté qu’un an et demi mais cette expérience m'a beaucoup servi. J’ai apprécié le fait d’être entouré de gens partageant cette passion pour le dessin, d’avoir des professeurs talentueux et impliqués. Cela m'a aidé à élargir le champ de ma culture visuelle, à découvrir plein d'illustrateurs et dessinateurs, à m’ouvrir à de nouvelles possibilités.
Comment le tatouage arrive-t-il dans ce parcours?
Un an plus tard, une amie m'a offert une machine à tatouer. On avait pas mal d'amis tatoueurs et elle savait que cela pourrait être l’opportunité pour moi de mettre à profit mon intérêt pour le dessin. C’est comme ça que j'ai commencé, sans rien connaître du fonctionnement des machines ni rien du reste. C'était un peu une recherche à l’aveugle. Pour être honnête, je n'avais jamais ressenti la moindre attirance pour ce milieu-là. Mais j'ai commencé à « scratcher », à tatouer mes potes, chez moi, de façon plutôt dilettante. C'est seulement avec le temps que j'ai commencé à mieux comprendre et à apprécier la culture du tatouage. Je n'avais aucune idée de ce que je faisais ni de la façon la plus appropriée de le faire. Du coup, je n’osais pas trop m’y investir.
A quel moment ton approche devient-elle plus sérieuse?
L’année d’après, un ami a commencé à travailler au studio « Seny Tattoos » qui venait d'ouvrir à Barcelone. Il m'a proposé de l’y rejoindre et j'ai accepté. J'ai passé ma première année à faire des walk-ins car personne ne me connaissait, puis j'ai pris plus confiance en moi et j’ai développé mon style, tout en me familiarisant avec le support de la peau. Plus impliqué, j’étais aussi plus occupé et j’ai commencé à faire des guests ; une expérience qui a beaucoup marqué mon parcours. J'ai pris plus confiance dans ma façon de faire, mon style, et cela m'a permis de faire de nouvelles connaissances, de faire naître de nouvelles amitiés et de me créer de nouvelles opportunités professionnelles.
Que se passe-t-il ensuite?
Après deux années, très heureuses, à Barcelone, on m’a proposé un poste d’artiste résident à Londres au studio Parliament Tattoo. J’ai accepté et je m’y suis installé fin 2017. Au cours de ces années j'ai remarqué une évolution plus notable dans mes travaux, en terme de dessin et de technique. Aujourd’hui, je travaille au studio Red Point Tattoo où je viens tout juste de commencer, depuis le mois d’avril dernier. Et franchement, je ne pourrais pas être plus heureux. L'ambiance du studio est très encourageante, tout le monde est engagé dans le travail des autres. Et puis, être entouré d’artistes et de personnes que l'on admire est quelque chose de très inspirant. Du coup, l’avenir est une perspective excitante pour moi.
Peux-tu nous parler un peu de tes influences artistiques?
J’ai trouvé beaucoup d’inspiration dans le monde de la BD, des fanzines et de l’illustration. Je pourrais citer des noms à la pelle mais, pour résumer, je suis un très grand fan de Jean Giraud « Moebius » (dessinateur français et notamment de « L’Incal »). Depuis le premier jour où je l’ai découvert quand j'étais un gamin. Aujourd’hui encore je reste étonné par son travail. C’est un peu la même chose avec Mike Mignola (dessinateur américain, auteur de la série « Hellboy »). Je trouve beaucoup de ressources dans son oeuvre, en terme de contraste et de graphisme. Franchement, le mec est un génie. Le monde de la gravure est aussi une importante source d’inspiration et plus spécifiquement la gravure sur bois mexicaine du début du XXème siècle (José Guadalupe Posada, Angel Zamarripa etc..). Mais aussi la gravure européenne classique (Gustave Doré) et bien sûr la gravure japonaise. Ce n'est pas seulement la procédure de la gravure qui m'attire mais aussi le fait de représenter une image, des ombrages et des volumes avec la ligne. C’est un médium que je n'ai jamais pratiqué mais cela fait partie de mes prochains objectifs.
Ton travail est exclusivement monochrome. Quel objectif ce choix sert-il?
Je cherche à obtenir la séparation la plus franche entre la peau et le tatouage. Je concentre mon travail sur trois axes principaux : le dynamisme et le mouvement ; le contraste et les volumes travaillés à la ligne. Du coup, certains sujets se prêtent mieux à une adaptation sur la peau, de même que pour leur lisibilité une fois tatoués.
Dans tes thèmes de prédilection on retrouve la nature, les animaux.
Oui, je m’amuse beaucoup à dessiner tout ce qui est organique, les plantes, les animaux, et en fin de compte tout ce qui vient directement de la nature. Car il y a toujours plein de textures, de formes avec des personnalités très différentes ; chaque animal ayant sa façon de bouger ou des expressions particulières. Les corps en mouvement sont aussi plus faciles à traduire sur la peau et à placer sur le corps.
As-tu plus d’affinités avec certains animaux en particulier?
Je suis particulièrement attiré par ceux pas trop « gentils», je trouve qu'ils ont plus de personnalité et d’expression. J'aime représenter des êtres sauvages et non civilisés, mais aussi méchants. Je trouve cela perturbant et provocant. En même temps, c’est aussi une recherche autour de l’idée de beauté, en-dehors de la banalité du concept classique. J’aime le dualisme d’une beauté située dans le côté primitif, brut et noir.
Cela explique la récurrence du motif du rat ?
Oui, je trouve que c'est une figure qui représente très bien la décadence de la société moderne particulièrement à l’œuvre dans les villes, où la nature se retrouve associée à un environnement bâti, dans lequel elle survit entre ciment et déchets.
As-tu d’autres territoires d’expression artistique en-dehors du tatouage?
J’ai toujours quelque chose à faire quand je ne suis pas en train de tatouer. J'essaie de rester occupé en faisant des collaborations, etc. Cela me permet d'expérimenter de nouvelles techniques, de nouvelles formes de traitements pour mes dessins. J'adore la sérigraphie et la gravure et j'aimerais m’y remettre. Actuellement, je suis concentré sur un projet d’exposition sur lequel je travaille avec mon ami Iñaki (@inakiworks) tatoueur et illustrateur installé à Barcelone. On est dessus depuis un peu plus de deux ans et on est très heureux du processus et de son avancement.
Peux-tu nous parler de tes tatouages?
Ce sont tous des tatouages échangés avec d'autres tatoueurs/euses avec qui j'ai eu l'occasion de travailler durant toutes ces années... Iñaki Beascoa , Happypets, Tayri Rodriguez, Damien J. Thorn, Mateo Aldenti, Lluis f tattoo, Dan Moreno, Emilio Cerezo, Bryan Randolph, entre autres… Ce sont des images mais aussi des souvenirs et des expériences partagés avec ces gens. C’est principalement la raison pour laquelle j'aime bien me faire tatouer dans ce contexte là. A ce sujet, je suis ravi de commencer ma manchette gouache bientôt avec Yutaro (@warriorism, patron du studio Red Point Tattoo) avec qui j’ai le plaisir de travailler en ce moment. Je garde encore assez d'espace dans le reste de mon corps pour les gens que je dois encore rencontrer. + Instagram : @mishlatattooillustration Red Point Tattoo 9 Penton St, London N1 9PT, Royaume-Uni www.redpointtattoo.com