Du tatouage à l’illustration, il n’y a qu’un pas. Jean-Luc Navette l’a franchi depuis longtemps et fait son choix. Le tatouage ce n’est plus pour lui. Rassurez-vous, ses fantômes continuent de nous hanter à travers ses ouvrages. Qu’il délaisse l’encre pour le crayon, qu’il jongle de portraits de disparus en scénographies énigmatiques. Jean-Luc a le goût de la narration et de la musicalité, et c’est à travers ses illustrations qu’il transmet sa passion pour le blues et les âmes esseulées.Les livres et les expositions se succèdent, de même que les collaborations avec des musiciens pour la création de pochettes ou d’identité visuelle. A chaque ouvrage, on est à la fois émerveillé et mélancolique ; et quand on le referme, on attend avec impatience la prochaine parution.
Salut Jean-Luc, ça fait longtemps. Peux-tu me parler un peu de ton processus de création ? Dans quelle ambiance tu as besoin d'être pour créer?
Ma méthode, c'est de rallumer une cigarette et de tourner la face du disque. Et au bout d'un moment, si tu as mis les bons disques, ça vient et la motivation arrive.
Est-ce que tu as des périodes de page blanche ?
La dernière fois qu'on s'est parlés, je sortais d'une longue période de page blanche. Donc j'ai mis au point des nouvelles méthodes pour éviter de retomber là-dedans.
Alors est-ce que tu es plutôt boulimique d'images ou au contraire, tu as un imaginaire qui est déjà débordant ?
Au niveau de l'inspiration, je dois avouer que ça vient un petit peu comme par magie, un peu toute la journée. Ça peut venir d'une balade, d’une photo que je prends. Ça peut être une chanson que j'entends, qui m'inspire une histoire. Ça peut être une histoire que je lis et qui m'inspire une image. Cela dépend vraiment du moment. Mais je n'ai pas besoin forcément de me mettre dans une ambiance de travail pour faire venir l’inspiration. Le truc, c'est plutôt que je laisse venir peinard. Et puis, si ça ne vient pas ce jour-là, ça viendra le lendemain. C'est pas grave. Et généralement, en se mettant moins la pression, ça arrive toujours. Il y a des jours où tu te dis que tu n’as pas forcément d'inspiration pour attaquer une nouvelle image, mais tu peux toujours continuer un petit peu de parties techniques sur une image en cours. J'ai la chance de faire des images qui me prennent un petit peu de temps donc je n'ai pas besoin d'avoir forcément tous les jours une nouvelle idée. C'est le luxe aussi. De ne plus travailler dans le tatouage et de ne plus avoir à répondre à une demande quotidienne.
C'est assez naturel finalement. Tu n’as pas forcément besoin de te nourrir d'images à travers des films ou des bouquins.
Voilà, c'est plus l'histoire du moment que j'ai envie de raconter. Effectivement, je suis plus à l'aise maintenant dans ma façon de raconter mes histoires. Donc j'ai moins besoin de lire, d'aller piocher en amont. Maintenant c'est plus naturel. J'essaie de retrouver vraiment un plaisir au dessin. C'est assez simple, il y a des journées où je vais juste faire un exercice qui ne sera pas une illustration qui finira dans un bouquin ou une commande, mais un petit exercice qui fait du bien, qui libère un peu.
Et justement, tu as changé de technique en passant de l'encre noire au crayon pour le dernier bouquin. C’est déjà un peu d'exploration. Quelle est pour toi la différence entre faire un dessin pour soi et un dessin pour une commande ?
Très bonne question. Effectivement, j'ai mis un peu de temps avant de répondre à des commandes. Avec cette technique-là, j'ai continué à explorer pour mes boulots personnels. Et puis, à côté, je répondais toujours à la demande avec ce que les gens avaient l'habitude de voir. Je n'avais pas encore assez de conviction quant au résultat. Et puis, effectivement, petit à petit, j'en ai glissé un ou deux sur des commandes. On ne m'a pas parlé spécialement de la technique, donc je me suis dit, c'est bien, c'est que ça reste la même personne qui dessine. C'est ce qui me faisait un peu peur. On a toujours un petit peu peur quand on change des trucs, de se dire est ce que ce que je vais me reconnaître, est ce qu'on va me reconnaître là-dedans ? Et puis du moment que tu te fais vraiment plaisir, je pense que le résultat fonctionne.
Tu as un style très reconnaissable. En général, on sait en un coup d’œil que c'est toi qui a dessiné. C'est une force. Mais est-ce que t'as aussi envie de nous surprendre et de te surprendre en allant là où on ne t'attend pas ?
Ce n'est pas que je m'ennuyais sur les images, mais je commençais à ne plus savoir comment raconter les choses différemment et je commençais à m'ennuyer sur les matières. Et puis, d'un coup il y a besoin d'un petit peu de danger et de se surprendre. Ça faisait quelques années que je bossais toujours dans cette direction. J'avais envie d'une autre sensation de dessin, de papier et de lecture. Quant à mes images, je suis passé à quelque chose de peut-être moins tranché, un petit peu plus doux donc le gris s'est imposé. J'avais besoin d'en passer par encore une autre teinte. Et là je suis même en train de me poser des questions : et si je faisais un peu de couleur ?
Pour revenir sur le sujet tattoo, pourquoi avais-tu à l'époque décidé d'arrêter ?
Il y avait, je pense, l’envie d'aller voir ailleurs. Je me disais : je reviendrai quand ça me manquera. Et puis, pour l'instant, ça ne m'a pas vraiment manqué. Un jour peut-être que cela me manquera et que j’aurai à nouveau des choses à dire. Il y a plein de raisons pour lesquelles j'étais venu au tatouage. Il y avait une sorte de besoin de voir des choses un peu différentes. Et aujourd'hui, j'ai l'impression de me dire qu’il y a déjà tellement de choses super bien que c'est le moment d'aller explorer ailleurs. Plus personne n'a besoin de moi dans le tatouage donc je vais aller me faire plaisir ailleurs.
Tu aurais du mal à continuer à faire ce que tu faisais avant?
Ça ne serait pas très intéressant et pour l'instant je n’ai pas encore trouvé de thème ou d'image où je me dit que ça pourrait être fait qu'en tatouage, que ça vaudrait le coup de faire quelque chose de nouveau et d'excitant. Pour l'instant, je dois avouer que je suis un petit peu éloigné du tattoo. Il y a tellement de choses intéressantes qui se font aujourd’hui.
Je reviens sur les thématiques abordées qui sont en général assez sombres au fil de tes différents bouquins comme la mort, les fantômes, la nuit. Et beaucoup de figures aussi de la musique, de la politique ou de la littérature. Est-ce que tu es toujours dans ces thématiques-là ? Pourquoi ces choix ?
Je raconte toujours des histoires un peu sombres en ce moment. Le prochain bouquin que je prépare avec les éditions Banzaï, ça ne va pas être forcément un parcours très lumineux, même s'il y a beaucoup de lumière dedans. Ça a été fait pendant le dernier confinement et ça raconte des rencontres nocturnes.
Dans le dernier livre, c'était plutôt des figures de personnes qui ont existé. Est-ce que t'as des exemples d'artistes qui ont eu un impact sur ta vie ou tes créations ?
Effectivement, je fais partie de ces adolescents qui se sont créés des modèles avec les figures d'abord du rock et puis ensuite du cinéma, de la littérature et du blues. J'ai une liste incroyable de modèles et de héros auxquels je fais de temps en temps référence dans mes images ou auxquels je pique une petite histoire par le biais d'une chanson qu'ils ont chanté ou d'un texte qu'ils ont écrit.
Tu disais un jour que ces artistes avaient fait avancer les choses à leur manière. Est ce que tu penses que l'art peut faire bouger les choses ? Et quel est, selon toi, le rôle d'un artiste ?
Alors c'est compliqué parce que quand on était à l'école, on nous avait appris que le rôle de l'artiste était de parler de son époque. J'ai grandi en rencontrant des héros comme Bob Dylan ou Leonard Cohen qui m'ont appris à raconter d’une autre façon. Il y a beaucoup d'artistes très bons dans la folk et le blues, qui savent raconter la grande histoire par des toutes petites histoires, avec des anecdotes de vie quotidienne glissées dedans, des choses un petit peu plus universelles.
Quel type de messages tu veux faire passer avec tes dessins ?
Je ne suis pas sûr qu'aujourd'hui, j'ai encore envie d'avancer le poing levé avec des combats à mener avec mes images et en même temps, je pense qu'on ne change pas et qu'il y a toujours des thèmes qui reviennent malgré tout. J'ai quand même toujours tendance à raconter des histoires de personnages un peu laissés pour compte ou des personnages à qui on n'a pas forcément tendu la main. Alors est-ce que je peux changer les choses en faisant des dessins ? Je ne suis pas sûr. Et en même temps, ça me fait du bien. J'ai encore cet espoir là, mais je ne suis pas bien sûr de l'atteindre.
Mais c'est important pour toi, justement, de raconter des histoires.
Quand je fais des dessins, je me pose à table comme on se pose à l'apéro avec des amis. Je raconte ma petite histoire et puis, au bout d'un moment, j'aurai un retour sur cette histoire. On en discutera. C'est c'est très proche du travail du journal intime.
La musique a toujours eu une importance pour toi dans ton inspiration, dans ta création. Tu as fait beaucoup de collaborations pour des pochettes de disques, des affiches de concerts et tu es toi-même musicien. D'où vient cette obsession ?
Je crois que ça vient de tout petit. Je crois que ça a été la première sensation physique de vraie liberté et de quelque chose de complètement magique. Je me rappelle vraiment des premières sensations de certains disques. La première fois que je suis allé acheter un 45 tours. Je viens de cette époque bénie où on a eu des Walkman à cassettes. Ça a été un truc de dingue et tu peux écouter la musique que tu as choisie dans tes oreilles et tu peux l'emmener avec toi. Et ça été un truc qui m'a jamais quitté, le fait d'avoir toujours de la musique avec moi. C’est toujours aussi magique, ça me fascine toujours autant. Cela m'a beaucoup inspiré dans ce que ça amène de pouvoir partager une histoire de trois minutes avec les gens. Je pense que mon style graphique est inspiré de ça. Le choix de faire de l'illustration, c'est aussi de raconter une histoire avec peu de temps. On ne regarde pas pendant très longtemps, ce n'est pas une BD. C'est une petite chanson de 2 à 3 minutes.
Et puis, la musique provoque des émotions et c'est pareil dans l'illustration, tu peux ressentir une émotion individuelle et tu peux aussi la partager avec d'autres.
Ouais, c'est un truc magique. Il y a du lien. Il y a un caractère divin aussi. Et puis c'est universel de faire de la musique. Comme de faire des dessins. On en a toujours fait. On en fera toujours. @jeanlucnavette