Camille, 30 et toute ses dents, ancienne Toulousaine expatriée en Belgique depuis huit ans, nous raconte comment elle a grâce au tattoo, satisfait son amour de l’art et son besoin de faire de l’illustration. Un sauvetage in extremis pour l’ancienne étudiante aux Beaux-Arts pour qui le passage dans les couloirs de l’académie a bien failli signer la fin de sa carrière artistique.
Tes dessins ont un caractère proche de l’illustration pour enfants, tu en as fait ?
J’ai toujours dessiné. Dès que j’ai su attraper des objets avec mes mains, les crayons furent les premiers ! Mes parents ont encore des photos de moi à l’âge de deux ans sur lesquelles on me voit faire des gribouillis informes. Mon père était un artiste et il me regardait faire mon chemin, sans trop intervenir afin de ne pas trop m’influencer et que je fasse mes propres expériences. J’aimais beaucoup l’illustration mais je n’ai jamais pu avoir la chance d’en faire (professionnellement parlant, avec un contrat). J’ai fait l’école des Beaux-Arts de Rennes, où on m’a remballée quand j’ai montré les illustrations que je faisais à côté. Du coup, j’ai juste continué à faire ça dans mon coin jusqu’à ce que le tatouage croise ma route et me porte.
Comment cela se produit-il ?
Le tatouage m’a littéralement sauvée. Mes études aux Beaux-Arts ne se passaient pas bien du tout, je suis tombée en dépression. Au même moment, ma maman s’est faite tatouée. Le résultat n’était pas fou, la tatoueuse n’était pas une personne qui dessinait… et pourtant ma mère a voulu m’en offrir un pour mes 19 ans. Je n’étais pas super emballée d’aller chez cette tatoueuse, j’ai donc été voir d’autres tatoueurs sur Toulouse pour me faire un devis. Chez Eskimo, puis chez Henrik Tattoo où bossait à l’époque Gorbalex - qui m’a finalement tatouée- , Romain Triptik, Freako Rodriguez. Chez Eskimo ils étaient en train de bosser et personne n’était disponible. Je suis restée à l’accueil sans faire de bruit et sans oser déranger… Mais j’observais ! J’aimais beaucoup la décoration et j’étais déjà très impressionnée car il y avait de l’art… partout ! Et pas comme dans des vernissages où les gens sont coincés ! Chez Henrik pareil, des dessins de deux mètres de haut ont fini par m’achever. Je voulais faire ça. Gorbalex a monté son shop à Rennes et j’ai commencé à passer plus de temps dans sa boutique qu’à l’école des Beaux-Arts.
Parle-nous un peu de tes références, quelle est ta culture graphique?
J’ai grandi avec Disney, comme beaucoup d’européens, mais aussi avec beaucoup de bandes-dessinées. Le petit Spirou, par exemple, a été un point de référence pour mes petits personnages potelés, les « bouibouis » comme je les appelle. Et puis, vers mes 13 ans, je suis tombé dans la marmite du manga et là c’était foutu, j’ai mangé de l’animation jusqu’à plus soif. J’ai aussi vu mon premier film de Miyazaki à 10 ans, Princesse Mononoke, et ça m’a marquée au point de monopoliser l’emprunt de la cassette vidéo de la médiathèque du village (rires). Enfin, s’il y a bien un artiste que je vénère, c’est Alfons Mucha. Je n’arrivais même pas à comprendre comment quelqu’un pouvait produire des choses aussi belles.
Ce côté croquis, dessiné, c’est quelque chose que tu aimes conserver dans tes tattoos. Cela représente une difficulté particulière techniquement ?
Je dois t’avouer que je ne me suis jamais vraiment posé la question En toute honnêteté, je l’ai proposé à une cliente un beau jour, et j’ai tellement aimé la vibe que ça procurait. Tu dois tirer les traits d’une autre manière, c’est plus souple et moins scolaire, ça te fait réfléchir à tes traits de construction parce que tu triches : le motif est déjà fait, tu ne le dessines pas et ne l’inventes pas non plus, donc tu dois rembobiner dans ta tête ce que tu as fait en le construisant pour redonner le même effet sur la peau, en donnant l’impression que tu l’as crée directement dessus. Il y a une énergie que je ne peux pas insuffler dans les tatouages "sans croquis".
Ton univers est très doux et réconfortant. C’est important pour toi que tes tattoos fassent du bien, qu’ils apportent du positif à tes clients?
Je suis tout le temps dans une démarche d’accompagnement avec mes clients. C’est important pour moi que la collaboration se passe bien. Je suis très sceptique de la consommation massive de tatouages que font certaines personnes. C’est vraiment gratifiant que les gens aient assez de confiance pour me confier un bout de leur peau, à vie. Ce n’est pas anodin ! J’essaie de mettre mes clients à l’aise, certains diraient que je les dorlote trop, mais je ne sais pas m’en empêcher, je suis comme ça ! Ils souffrent déjà bien assez lors du tatouage.
Parmi les thèmes que tu aimes travailler il y a les animaux et petites princesses…
L’apprentissage en tattoo m’avait oblié à revoir ma façon de dessiner, je devais réapprendre mon outil de travail. Les ‘bouibouis’ se prêtaient bien à cette rééducation : ils sont petits (mais pas trop !) et me permettaient de me faire la main convenablement. Et quoi de mieux pour mettre de la couleur partout, si ce n’est du Disney et des petits animaux ? La nature nous donne des déclinaisons infinies, c’est une source d’inspiration précieuse que l’homme a toujours eue. C’est dingue que chacun puisse tout faire à sa sauce, avec son bagage artistique derrière.
En comparaison avec le plaisir de dessiner, quelle satisfaction te procures celui de tatouer?
Il y a une contrainte technique qui est folle dans le tattoo, car ton support est vivant. C’est en ça que j’y vois une collaboration. Si ton client ne tient pas, tu ne peux pas t’exprimer au maximum de ta créativité. Il faut savoir revoir ses plans à la baisse s’il est très « douillet », mais tu dois rapidement trouver des solutions. Ça me mâche le cerveau parfois, mais c’est une gymnastique mentale qui permet de garder les pieds sur terre et de ne pas oublier que derrière tout ce que tu fais, il y a un être humain. Honnêtement, je rentre parfois chez moi après une session de 6h et je suis complètement hors service, comme si j’avais couru un semi-marathon. Le dessin c’est plus… Entre moi et moi, c’est plus personnel et intime parce que je dessine chez moi, dans mon cocon, et personne n’intervient dans le processus. Quand tu as fini un tatouage, tu as l’impression d’avoir signé un contrat sportif et d’avoir tout donné.
Tu es très à l’écoute de tes clients. C’est le secret d’un bon tattoo, la qualité de l’échange avec son client?
Tout à fait. Je n’aime d’ailleurs pas trop quand on me parle de carte blanche, ça me laisse trop de possibilités et je suis vite perdue ! Dans mon cas, les clients passent d’abord par mail, cela me dégrossit le travail, avant ensuite de faire une consultation en tête à tête. Cette étape est très importante, car les gens me voient dessiner devant eux leur projet, et en même temps je parle (ou pas, parfois !) avec eux. Ca te laisse un peu de temps pour cerner la personnalité des gens, les mettre à l’aise. Et puis ils voient comment tu dessines le projet. Ils se rendent compte ainsi de l’implication qu’il y a derrière, et qu’il ne s’agit pas simplement d’une exécution. Ils peuvent t’aiguiller directement sur place. Si techniquement l’idée n’est pas possible je leur explique pourquoi. Souvent le résultat final est un mélange des idées du client et des miennes, chacun y met du sien.
Créativement, comment fais-tu pour rester inspirée ?
Tatouer et dessiner sont extrêmement chronophages, parfois j’aimerais pouvoir aller plus souvent au cinéma ou voir des expositions. C’est aussi un de mes défauts, je ne vois pas quand je n’ai plus d’énergie et je m’épuise ! Quelque part je suis très reconnaissante de faire ce métier, mais parfois j’aimerais justement avoir plus de temps libre pour rêver un peu. Dernièrement, je me suis remise à la lecture et je redécouvre comment enclencher un peu l’imagination qu’il y a dans mon cerveau, restée un peu amorphe. Je déplore un peu le monde dans lequel nous vivons, ça rejoint un peu ce que je disais sur la nature, et ça peut sembler simplet… Pourtant, c’est en étant le moins stimulée par le monde humain que je suis la plus créative. Dans le calme et la nature, je retrouve un peu mon âme d’enfant, et je laisse mon cerveau imaginer et créer. Tout n’est qu’immédiateté depuis les réseaux sociaux, et j’essayais de suivre le rythme mais au final ça me bride plus qu’autre chose. (J’ai l’air d’une fille très chiante et trop calme, mais c’est la vérité lol). Après je ne suis pas contre un bon film, mais parfois je le regarde en trois soirées tellement je suis claquée
Il y a des tatoueurs que tu regardes en particulier?
J’avoue avoir une préférence pour les tatouages qui tirent vers l’Art nouveau. J’aime beaucoup de styles différents parce que j’admire autant les compositions, que la patte personnelle de l’artiste, les couleurs ou la pureté de la ligne. Parfois ce n’est pas ma tasse de thé mais j’admire les performances techniques de mes pairs ! J’ai une grande admiration pour Gogue, Teresa Sharpe, Filouino, Hannah Flowers, Emily Rose Murray… Et tellement d’autres.
Tu as d’autres moyens d’expressions artistiques?
J’ai un peu touché à tout quand j’étais en prépa d’art, on avait fait de la sculpture, de la peinture, du collage… Ce que je préfère c’est peindre, mais souvent c’est le temps qui me manque pour le faire. Je pense que j’aurais notamment voulu pousser un peu la sculpture, mais il me faudrait un atelier spacieux et une double-vie entière pour exploiter tout ce que je veux. Enfant et adolescente, je faisais beaucoup de danse et j’ai failli entrer au conservatoire. Je faisais passer les émotions par l’intermédiaire de mon corps, quand c’était trop bloqué à l’intérieur. Mais c’est un chemin que j’ai dû laisser de côté pour avoir plus de temps pour dessiner !
Il y a un sujet dont tu parles ouvertement et en connaissance de cause c’est l’autisme. Tu nous en dis quelques mots sur ce combat qui t’animes ?
J’ai été diagnostiquée à l’âge de 27 ans, et grâce à l’une de mes clientes (voyez ici l’importance d’échanger avec les clients, hein ! ) avec qui je discutais beaucoup, qui m’a donné le nom de sa neuropsychologue. Je ne sais pas vraiment si c’est un combat ou juste la méconnaissance du sujet aux yeux du monde qui me bouleverse autant. Quand tu reçois ton diagnostic, c’est toute ta vie que tu repasses au peigne fin pour enfin être soulagée : « Non, je n’étais ni folle ni bizarre, je suis juste née différente ». Il y a encore des associations qui sont persuadées qu’elles vont nous guérir, alors que l’autisme c’est un état neurologique qui est différent de la norme. Je sais que certains vont crier au drame car je suis capable d’être autonome, mais c’est justement ce qui rend la chose aussi difficile : je suis dans la catégorie qui n’a aucune déficience mentale mais je comprends parfaitement mes pairs qui en ont. Nous sommes trop souvent poussés à faire des efforts pour rentrer dans le moule, et quand nous avons des crises on nous prend pour des animaux. Nous avons juste besoin que la population soit informée, ça résoudrait beaucoup de problèmes et ça permettrait d’apaiser beaucoup de choses. J’essaie d’éveiller les consciences et de faire en sorte que ceux qui sont égarés comme moi puissent enfin avoir une réponse. + IG : @cammiyutattoo Wallifornia Ink Shop Rue Albert Premier 2, 7100 La Louvière, Belgique. Telephone - +32 (0) 489.14.11.18 https://wallifornia-ink.be