Après l'avoir découvert sur le tas, Pauline Tabur se consacre depuis sept ans à sa propre interprétation du style japonais qu’elle réalise dans une forme colorée et teintée de naïveté. La tatoueuse de 37 ans, installée à Nantes, reproduit ainsi les motifs de l’imagerie populaire et du folklore nippon qu’elle propose encore principalement sous forme de flashs. Curieuse et touche à tout, Pauline explore par ailleurs d’autres champs de l’artisanat de l’archipel, découvrant une variété de techniques et de savoir faire manuels anciens de laquelle se dégage une certaine poésie.
Tu t’intéresses depuis sept ans au style japonais, comment entres-tu en contact avec lui ?
Par le studio dans lequel j'ai commencé il y a neuf ans. Dago, de Nuevo Mundo - avec qui j'ai appris- tatouait des bras et des dos en japonais et c'était, tout naturellement, un sujet de conversation au shop. Lors du Mondial du Tatouage à Paris (qui s’est déroulé au 104 en mars 2013,) j'ai acheté un livre d'Hokusai que j'ai beaucoup recopié. Tout doucement, je suis passée d'un style black work - pour lequel j'ai voulu faire du tatouage - à un style plus traditionnel et coloré. Cela fait aujourd’hui sept ans que je m’y consacre.
Jusqu'à récemment, le tatouage japonais était associé aux body-suits virils mais depuis quelques années on voit se développer une autre approche du style avec des motifs de flashs réalisés dans un graphisme doux et naïf. Une démarche dans laquelle tu t’inscris, n’est-ce pas ?
Oui, mon travail tourne autour de ça. Ce que j'aime dans ce style "doux et naif" c'est le côté positif qu'il renvoie et je respecte ces petits formats qui m'ont permis d'apprendre à tatouer. J'imagine que la vision du tatouage japonais a évolué du côté occidental, une ouverture s'est créée et, ce faisant, il est devenu plus accessible au plus grand nombre. Maintenant les gens collectionnent les flashs japonais comme ceux du traditionnel américain. Au delà du tatouage, il y'a un très grand phénomène de mode sur le Japon depuis quelques années. Les clients ont plus de connaissances et sont devenus plus familiers de leurs culture. De fait, on tatoue plus de flashs japonais, on en poste plus sur Instagram et ils deviennent plus populaires. Petit à petit les gens sont prêts à faire des pièces plus grandes avec les fonds et ce n'est plus considéré comme « viril", du moins de mon point de vue.
Tu nous parles de tes influences ?
Au début d’Instagram j'ai découvert des tatoueurs japonais comme Bunshin Horitoshi qui proposaient du japonais sous forme de flash. Cela a été très important pour moi, car j'étais une jeune tatoueuse et ce n’était pas envisageable de commencer par un dos complet pour apprendre à tatouer. Cela peut paraître évident aujourd'hui mais à cette période - c’est mon impression - ce style n'était pas vraiment représenté de cette manière, en France, et je ne savais pas comment l'aborder. J'ai donc combiné ce que j'apprenais avec Dago et ce que je voyais sur les réseaux sociaux. La découverte du travail de Bunshin Horitoshi a eu une influence énorme sur ma façon d’aborder les choses. Elle m'a aussi amenée vers d'autres tatoueurs comme Bunshin Horimatsu, Bunshin Horiyen, Horiken, Horikyo, Horitaka ou encore Horifuku, qui restent encore mes les références auxquelles je reviens toujours.
Pourquoi?
J'aime ce style avec des fonds aux bandes larges avec des représentations d'animaux et de personnages un peu « mignonnes ». C'est très efficace. Des tatoueurs comme Horifuku par exemple, sont capables de simplifier n'importe quels motifs, une intervention essentielle pour faire un bon tattoo. Dans un tout autre style, j'ai beaucoup d'admiration pour le travail d'Horitsune II, ses tattoos sont incroyables ! Même si ses fonds sont très différents il y a des similitudes, comme avec ses pivoines. Ce style revient pas mal en ce moment j'ai l'impression. J'adore son livre « Bunshin II » (aujourd’hui épuisé), l'ambiance des vielles photos, c'est super vintage et les tattoos ressemblent à des tapisseries des années 1960. C'est ce qui m’inspire actuellement j’aimerais reprendre ses couleurs. Il utilise par exemple un bleu qui se mélange vraiment bien avec le jaune, et le vert, c’est super joli. Si d'ailleurs quelqu'un veut revendre son bouquin, sold-out,, contactez moi !
Faire du japonais c’est pour toi un exercice graphique ou tu t’intéresses de manière plus large à la culture japonaise ?
Cela a d'abord été un exercice graphique. Tout simplement parce que j'ai beaucoup de plaisir à reproduire ce style. Par la suite, je me suis plus intéressée à la culture et forcément à l’artisanat. J'affectionne tout particulièrement les Otsu-e, ces images d’une grande simplicité originaires de la ville d’Otsu (située à proximité de Kyoto), plus grossières et naïves que les ukiyo-e. J'ai même tenté de reproduire cette technique d’impression, faite à partir de pochoirs. Il me semble qu'il ne reste plus qu'une famille qui les produisent aujourd'hui. Il y a une boutique à Otsu, et j’aimerais vraiment y aller. Dernièrement j'ai découvert une vidéo d'une vieille dame au Japon qui teint des noren (les rideaux japonais) et c'est magnifique ! Forcément, j'ai eu envie d’essayer et je prépare une petite série de noren courts et plus longs, on verra le résultat. Dans le domaine de la teinture aussi on retrouve le suminagashi qui est très populaire en ce moment et qui est assez facile à réaliser. Je suis admirative de leurs savoir faire et de la poésie qui s'en dégage.
Ton approche graphique est simple, lisible et se rapproche des arts populaires comme les estampes mais aussi des objets du quotidien. Peux-tu nous en parler ?
Les objets du quotidien dont tu parles, sont ceux que l'on retrouve régulièrement en flash ou associés aux composition. Ils ont parfois une valeur spirituelle ou religieuse. Ce sont des porte-bonheurs comme le uchide no kozuchi, un petit marteau qui, lorsqu'il est secoué, réalise ce que vous désirez. Il fait partie du trésor Takara Zukushi, comme le hoju (ou Hoshu) qui exauce les souhaits. On trouve également le kinnou, un petit sac qui contient des objets précieux - des pièces ou de l’encens - ou des rouleaux d'enseignements qui représentent la sagesse et la connaissance. Ce sont des images que l'ont voit fréquemment portées sur les vêtements pour des occasions heureuses, comme des mariages ou le nouvel an et qui ont été, j'imagine, simplifiées pour être tissées ou brodées. C'est une source d'inspiration graphique très intéressante et ces motifs sont des classiques dans le tattoo.
Dans les estampes ukiyo-e, il y a des écoles que tu préfères à d’autres?
Je regarde principalement celles de l'école Torii. Leurs personnages sont moins complexes que ceux que l’on retrouve vers 1800, bien moins détaillés. Le mouvement des vêtements sont compréhensibles. Des artistes de cette époque comme Kiyomasu I et II utilisent des aplats de noir et peu de couleurs, je trouve ça très beau et plus applicable au tatouage que la période qui suit. J'essaie de reproduire les jambes et les bras en forme de "gourde" qui caractérise bien cette époque.
La recherche d’authenticité, est-ce important dans ce que tu fais ?
Oui, j'essaie de faire de mon mieux dans mon approche graphique, c'est à dire de comprendre les mouvements, les formes qui font que l'ont dessine quelques chose de Japonais. J'essaie de cacher le "trait occidental" qui me rattrape vite si je ne suis pas concentrée. L’authenticité, c'est aussi connaître la combinaison des éléments que l'on va tatouer et je me documente pour cela, même si une semaine après j'ai tout oublié ! Ma mémoire ne fonctionne pas très bien (rires), donc je dois constamment relire et ré-étudier pour éviter les erreurs.
Tu travailles avec une palette de couleurs très restreinte, par volonté de rester proche d’une certaine tradition ?
Oui c'est ça. Au début, j'ai essayé plein de couleurs différentes pour m’amuser puis, en découvrant d'anciens tatouages et en lisant, je me suis rendu compte que plus de sobriété me permettrait d'être plus proche des tatouages que j'aime regarder. Et puis, je trouve que les couleurs sont mieux mises en valeur quand elles sont plus restreintes et entourées de noir et de gris. Cela a pour effet de calmer un peu l'image et de rendre le dessin plus lisible.
Chez les maîtres japonais - qu’ils soient artistes, peintres, tatoueurs - il y en a auxquels tu reviens invariablement ?
Horiyen est ma référence constante et cela n'a jamais changé. Je pourrais ne garder que cet artiste et j’en serais ravie. Les fonds, le placement des couleurs et la façon de dessiner, tout est incroyablement beau.
Tu as ouvert un compte instagram dédié au flash sur lequel tu montres par la peinture des projets plus ambitieux - comme des bras- disponibles. Les body-suits traditionnels sont un objectif pour toi ?
Oui c'est mon objectif, Forcément c'est une expérience que j'aimerais vivre. Je serais heureuse et fière de pouvoir en réaliser. C'est une question de patience. Maintenant que je me suis posée pour de bon quelques part je vais pouvoir travailler sur de plus gros projets. + IG : @paulinetabur @paulinetaburflash